Procès Le Scouarnec : les cours criminelles, sans jury populaire, sont-elles plus rapides et plus justes ?
Le procès Le Scouarnec pour agressions sexuelles s’ouvre devant une cour criminelle départementale. Ces nouvelles juridictions ont permis d’accélérer les procédures, mais on leur reproche de mettre fin aux jurys populaires.
Le procès de Joël Le Scouarnec, ex-chirurgien accusé des viols et agressions sexuelles de 299 victimes, principalement mineures, s’ouvre devant la cour criminelle du Morbihan.
Cette cour départementale est exclusivement composée de magistrats professionnels, sans jurés populaires, contrairement aux cours d’assises. Quel est le bilan de ces cours en matière de violences sexuelles ?
Le 24 février 2025 s’ouvre à Vannes (Morbihan) le procès de l’ex-chirurgien Joël Le Scouarnec, accusé de multiples viols et agressions sexuelles, dont une partie sur des mineurs.
Cette affaire particulièrement grave est jugée devant une cour criminelle départementale (CDD), juridiction dépourvue de jury populaire, créé en 2019 à titre expérimental et généralisé en 2023) avec pour ambition de désengorger les cours d’assises.
Si la CDD offre des avantages (procès plus courts, magistrats expérimentés), elle soulève des critiques majeures : risque de sous-évaluation symbolique des crimes sexuels, sentiment d’une justice technocratique éloignée des citoyens.
L’exemple du procès Le Scouarnec pourra éclairer cette tension : soit la cour criminelle départementale parvient à démontrer sa capacité à traiter efficacement des affaires graves sans sacrifier la qualité du débat judiciaire, soit cette juridiction, déjà submergée, continuera de cumuler retards et prolongations de détention controversées.
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La fin des jurys populaires
Les cours criminelles départementales sont composées uniquement de cinq magistrats professionnels, il n’y a pas de jurés, alors qu’ils représentaient la particularité et l’essence même des cours d’assises, chargées de juger les crimes passibles de 15 à 20 ans de réclusion (dont la majorité est constituée de viols).
Jusqu’à la généralisation des cours criminelles à partir du 1er janvier 2023 (après une expérimentation commencée en 2019) toutes les cours d’assises étaient mixtes, composées de la cour et du jury. Les jurés n’étaient pas professionnels mais des citoyens tirés au sort au sein des listes électorales. La cour d’assises était alors qualifiée de juridiction populaire puisque des représentants du peuple participaient au jugement des crimes.
La suppression des jurés populaires vise à simplifier les procédures et à réduire les lourdeurs administratives liées à leur sélection. Les magistrats professionnels apportent leur expertise et une meilleure cohérence dans les décisions judiciaires. Mais, en supprimant leur représentation directe, cette réforme prend le risque d’éloigner la justice des citoyens et de donner l’image d’une justice déconnectée des réalités sociales.
Juger des viols sans jury populaire suscite aussi un malaise chez certains juristes qui, comme Benjamin Fiorini, estiment que le jugement de ces crimes les fait devenir des « crimes de seconde division ».
Cela semble confirmé par le rapport du Comité d’évaluation et de suivi des cours criminelles départementales, mandaté par le ministère de la justice, qui souligne que si la réforme a permis de raccourcir certains délais, elle suscite des critiques concernant la reconnaissance symbolique de la gravité des crimes jugés et l’absence de citoyens-jurés dans la procédure.
Le risque d’invisibilisation des violences sexuelles
Plusieurs associations de victimes ont émis des réserves concernant les CDD, dénoncent ces juridictions comme des lieux de « perpétuation de l’invisibilisation du viol ». La Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) et l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) redoutent que la moindre médiatisation de ces procès par rapport aux procès d’assises (le procès Le Scouarnec ou le procès Pélicot sont des cas exceptionnels) donne aux victimes le sentiment d’une « justice au rabais ».
Cette perception pourrait affecter la confiance des victimes dans le système judiciaire et leur volonté de porter plainte. Ces inquiétudes sont aussi relayées par des professionnels du droit et des parlementaires), qui soulignent l’importance de maintenir une justice perçue comme légitime et représentative de la société.
Un rapport de l’Inspection générale de la justice de mars 2024 met en lumière un paradoxe dans le traitement judiciaire des violences sexuelles et sexistes. Si la libération de la parole, notamment grâce au mouvement #MeToo, et la diminution des « correctionnalisations » des viols (on parle de correctionnalisation lorsque des attouchements, qui sont des délits et pas des crimes sont retenus, et renvoyés devant un tribunal correctionnel) marquent des avancées en matière de reconnaissance des violences sexuelles comme des crimes, ces évolutions ont aussi conduit à un doublement des dossiers criminels en attente de jugement. Ils sont passés de 2 200 à 4 400 entre 2019 et 2023.
D’un côté, ces données traduisent une meilleure prise en compte de la gravité des faits et une volonté de ne plus minimiser ces infractions. D’un autre côté, cette augmentation a engendré un engorgement des juridictions criminelles, remettant en question la capacité du système judiciaire à offrir une réponse rapide et efficace.
Des procès plus rapides, mais quelles peines retenues ?
Les partisans des cours criminelles départementales soulignent que sa composition exclusivement formée de magistrats professionnels permet de tenir plus d’audiences en un temps réduit, contrairement à la cour d’assises où la présence de jurés populaires allonge les procédures. Selon le rapport de l’Inspection générale de la justice, le délai maximal pour juger un accusé détenu est d’un an devant la CCD, contre deux ans devant la cour d’assises. Cette accélération est cruciale pour les victimes, en évitant les reports successifs des audiences et les risques associés, tels que les remises en liberté des accusés pour dépassement des délais.
Par ailleurs, des données issues de l’expérimentation des cours criminelles départementales (CCD) indiquent que les peines prononcées par ces juridictions, composées uniquement de magistrats professionnels, sont comparables à celles des cours d’assises (la durée moyenne des peines de prison prononcées est de 9,6 ans en CCD contre 10,2 ans en cour d’assises). Ces données suggèrent que la composition de la juridiction, qu’elle inclue ou non des jurés populaires, n’a pas d’impact majeur sur la sévérité des peines prononcées.
S’il est sans doute trop tôt pour tirer un bilan définitif du fonctionnement des crours criminelles, il semble qu’un meilleur équilibre doive être visé entre la nécessité de qualifier les faits à leur juste niveau, et la capacité du système judiciaire à gérer efficacement l’afflux d’affaires criminelles.
Un procès qui fera date ?
Le procès de Joël Le Scouarnec attire une attention particulière en raison de la gravité des accusations et du nombre exceptionnel de victimes impliquées. Cette affaire, à l’instar de celle de Dominique Pélicot, bénéficie d’une couverture médiatique importante, ce qui pourrait atténuer les critiques liées à l’absence de jurés populaires.
L’affaire permettra de voir si la Cour criminelle départementale reconnaît la même gravité que pourrait le faire un jury populaire, tant en termes de quantum de peine que d’écoute des victimes.
À l’heure où la société exige une réponse ferme et rapide aux violences sexuelles, l’enjeu est crucial : comment juger plus vite, tout en préservant la solennité, la participation citoyenne et le respect absolu des droits fondamentaux ? Seule une augmentation des moyens humains et matériels, conjuguée à une réflexion plus large sur la place du jury populaire (on pourrait imaginer un jury mixte regroupant un nombre réduit de jurés populaires et des magistrats professionnels, des jurés au rôle consultatif pour certaines affaires, ou encore des jurés formés aux spécificités des violences sexuelles) permettra d’avancer vers une justice à la fois rapide et respectueuse de la dignité des victimes comme des accusés.
Thomas Hermand ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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