Le haricot commun, la légumineuse qui a conquis le monde et dont il faut aujourd’hui préserver la diversité

Venant d’Amérique, le haricot commun a conquis le monde. Cette légumineuse détient aujourd’hui de nombreux atouts pour une agriculture durable. Mais il est crucial de conserver sa diversité.

Jan 22, 2025 - 17:01
 0
Le haricot commun, la légumineuse qui a conquis le monde et dont il faut aujourd’hui préserver la diversité
Le haricot commun, une espèce dont la diversité est aujourd’hui menacée. Maud Tenaillon, Fourni par l'auteur

Originaire d'Amérique, le haricot commun a rapidement conquis le monde. Cette légumineuse riche en protéines détient aujourd’hui de nombreux atouts pour une agriculture durable. Mais il est crucial de conserver la grande diversité des variétés qui existent.


L’un des contes populaires les plus célèbres, celui de Jacques et du haricot magique, raconte qu’un simple haricot sec dévoile un potentiel extraordinaire. Planté dans une terre fertile, il s’élève jusqu’au ciel, ouvrant la voie à un royaume d’abondance qui changera la vie de Jacques et celle de sa mère. Ce récit, profondément ancré dans l’imaginaire collectif, reflète une fascination universelle pour les graines et leur capacité à transformer le monde.

Au-delà de la magie du conte, les haricots possèdent des propriétés tout aussi précieuses dans la réalité. On peut par exemple penser à leur capacité à établir des symbioses bénéfiques avec des bactéries fixatrices d’azote, élément essentiel à la croissance des plantes. Une prouesse qui permet ainsi de réduire l’utilisation d’engrais azotés dans les champs où poussent des légumineuses comme le haricot, ou dans ceux qui ont cultivé des haricots précédemment. Mais il y a aussi leurs qualités nutritionnelles exceptionnelles, et l’étonnante multiplicité de formes et de couleurs des haricots. Avec des milliers de variétés adaptées à des climats, des sols et des usages divers, les haricots jouent un rôle central dans les systèmes agricoles durables. Cette diversité demeure un atout crucial à mobiliser à l’heure des défis climatiques, mais elle est aujourd’hui en péril.

De fait le haricot sec, comme les légumineuses en général ont longtemps été négligées et il souffre encore parfois d’une image peu valorisante, associée à la rusticité et à des habitudes alimentaires anciennes qui le mettent à l’honneur. Ainsi, il est à la base de nombreuses recettes emblématiques de la gastronomie française, telles que le cassoulet du Sud-Ouest, la marmite aux haricots blancs en Provence, ou encore les mogettes en Vendée, souvent servies avec du jambon de pays. Mais, ce n’est peut-être pas pour autant la fin des haricots. Portés par le besoin de nouveaux modes alimentaires riches en protéines végétales, ces derniers reviennent sur le devant de la scène culinaire et agricole. Ils incarnent aujourd’hui un équilibre entre tradition et modernité, terroir et écologie.

Voici donc l’histoire des haricots et de leur précieuse diversité pour laquelle vous pouvez vous-même œuvrer au travers d’une expérience de science citoyenne que nous vous proposons.

Une légumineuse qui vient d’outre-Atlantique

L’histoire du haricot commun remonte à plus de 8 000 ans. Il a été domestiqué dans les Amériques, pour la première fois au Mexique, mais aussi dans les Andes. La domestication du haricot a entraîné des modifications importantes de la plante qui incluent l’augmentation de la taille des gousses, des graines et des feuilles.

Au cours des millénaires qui ont suivi, la manière dont la plante pousse a également été modifiée : certaines variétés ont été sélectionnées pour être naines (sans besoin de support), tandis que d’autres sont restées grimpantes.

Comment le haricot est arrivé en Europe

Variétés de haricots (Phaseolus vulgaris) publiées dans Les plantes potagères Vilmorin-Andrieux et Cie, 1891
Variétés de haricots (Phaseolus vulgaris) publiées dans Les plantes potagères Vilmorin-Andrieux et Cie, 1891. Spedona, CC BY

Le haricot commun a ainsi été rapidement adopté et largement disséminé à travers l’Europe. Une étude récente publiée dans Nature Communications révèle que les variétés andines ont été les premières à s’implanter avec succès, probablement grâce à l’expédition de Francisco Pizarro au Pérou en 1529. Parmi ces variétés, deux races principales, Nueva Granada et Chili, ont apporté une contribution majeure, car elles étaient peu sensibles à la longueur des jours, un atout dans les climats européens. En revanche, la race Pérou, plus sensible, a eu un rôle limité. Plus tard, les variétés d’Amérique centrale ont également été introduites en Europe. Des croisements avec les types andins ont favorisé l’adaptation de ces derniers aux conditions environnementales européennes, notamment en optimisant leur floraison.

En France, le haricot commun a été introduit pour la première fois par Catherine de Médicis, comme le mentionne le premier ouvrage consacré à cette culture, écrit par Piero Valeriano Bolsanio, ancien secrétaire du pape Clément VII. Bolsanio a noté que les graines de haricot avaient été reçues par Charles Quint, qui les aurait probablement obtenues de Pizarro après son expédition de 1529 dans le nord du Pérou.

Aujourd’hui, grâce à ce riche héritage, le haricot commun fait partie intégrante de notre patrimoine agricole et culinaire, avec des variétés locales européennes qui portent encore la trace de leurs origines andines et d’Amérique centrale. Les noms de ces variétés locales sont souvent liés à leurs caractéristiques morphologiques et leurs usages traditionnels.

Ces variétés peuvent aujourd’hui être cultivées et consommées de deux façons : les haricots mangetout (haricots verts, haricots filets, et haricots beurre), récoltés avant la maturation des graines, que l’on consomme crus ou cuits ; les haricots à écosser, dont on ne consomme que les graines, et que l’on récolte un peu plus tard, quand les graines ont grossi, pour les manger frais ou secs.

La France championne européenne du haricot

Aujourd’hui, la France est le premier producteur de haricots verts dans l’Union européenne, avec une récolte moyenne de plus de 350 000 tonnes sur environ 29 400 hectares. En parallèle, la consommation de haricots verts frais atteint environ 500 grammes par personne par an, et 27 % des ménages en achètent au moins une fois par an.

Quant aux haricots à écosser (frais et demi-secs), la production s’élève à environ 38 000 tonnes, cultivées sur une surface d’environ 5 500 hectares. Cependant, la consommation de ces haricots en frais est modeste, avec près de 120 grammes par personne par an, et moins de 10 % des ménages qui en achètent au moins une fois dans l’année. Cette production de haricots à écosser se concentre principalement sur trois variétés de flageolets, qui représentent plus de 85 % de la surface cultivée.

Cette consommation est appelée à augmenter de façon très significative dans la perspective d’une transition alimentaire en Europe vers des régimes plus riches en protéines végétales. Et aujourd’hui, le faible nombre de variétés cultivées contraste avec les milliers de variétés disponibles chez cette espèce.

Une diversité de haricots à préserver

Cette grande diversité est une richesse indéniable qu’il faut préserver. En effet, dépendre d’un petit nombre de variétés expose à des menaces telles que l’émergence de nouveaux pathogènes des cultures, pouvant affecter l’ensemble de la récolte. De plus, la diversité des variétés offre la possibilité d’adapter les cultures aux conditions environnementales locales avec certaines variétés par exemple adaptées aux milieux secs, tandis que d’autres résistent mieux aux excès d’humidité, assurant ainsi une production plus stable et résiliente face aux changements climatiques.

Préserver toutes ces variétés passe par la conservation de leurs graines qui contiennent le patrimoine génétique de ces plantes, leur ADN. Cette préservation peut se faire dans des chambres froides, ex situ. La conservation ex situ est la principale méthode de conservation génétique de nos plantes cultivées.

Ces banques de gènes, souvent qualifiées de « biobanques », sont des installations qui collectent et conservent les ressources génétiques. Un nombre impressionnant de plus de 6 millions de lots de graines sont conservées dans environ 1 750 banques de gènes à travers le monde. Après le riz et les céréales, les collections de légumineuses représentent une part importante des plantes cultivées ainsi conservées. Rien que pour le haricot commun, le Catalogue européen de recherche sur les ressources génétiques des plantes (Eurisco) répertorie plus de 51 000 lots de graine dans ses banques de gènes.

Outre la reproduction régulière des graines, les banques de gènes produisent des données de caractérisation génétique et d’évaluation agromorphologiques (hauteur, floraison, production, couleur), qui peuvent être reliées à des bases de données pour un accès facilité. Cela permet également d’identifier les graines possédant un patrimoine génétique particulièrement rare, qu’il est crucial de préserver soigneusement. En outre, cette caractérisation facilite la détection de variétés adaptées à des environnements spécifiques ou présentant des caractéristiques particulières, qui pourraient être réutilisées à l’avenir, en fonction de l’évolution des conditions environnementales et des besoins alimentaires.

Quand science citoyenne et agrobiodiversité se rencontrent

Mais la préservation de la diversité génétique d’une plante cultivée passe aussi par la conservation in situ, dans les champs. De fait, depuis des millénaires, les paysans du monde entier ont joué un rôle fondamental dans la création et la préservation de notre patrimoine agricole. À force de patience et de sélection, ils ont donné naissance à une incroyable diversité de variétés de plantes cultivées, adaptées à leurs environnements et à leurs besoins. Le projet de science citoyenne Increase propose de prolonger cette pratique en redonnant aux citoyens le pouvoir de préserver et d’enrichir cet héritage, en devenant acteurs de la gestion des ressources génétiques végétales.

L’inscription à l’expérience se fait par une application smartphone. Une fois inscrits, les participants reçoivent chez eux un lot de cinq variétés locales de haricot commun accompagnées d’une variété commerciale comme témoin. Ils cultivent ces haricots du printemps jusqu’à la récolte, en automne, dans leur propre environnement extérieur (balcon, terrasse, jardin, champ), documentent leur croissance et leurs caractéristiques à l’aide de l’application, et partagent leurs observations avec la communauté. Le projet est ouvert à tous, sans connaissance préalable requise en biologie.

Magiques, ces haricots !, un documentaire Arte évoquant notamment le projet Increase.

Ce projet, lancé en 2020 et renouvelé chaque année, vise à collecter des données sur plus de 1 000 variétés de haricots communs à travers l’Europe. Il documente l’adaptation des variétés aux zones climatiques européennes, avec des résultats prometteurs montrant des différences de floraison et de production. En plus de sa contribution scientifique, le projet sensibilise à la richesse de cette espèce, à ses usages culinaires (par des échanges de recettes) et crée une communauté axée sur le partage de graines et d’expériences.

Plus de 300 écoles et jardins d’enfants y ont participé, fournissant des données précieuses et utilisant le projet pour enseigner des notions clés comme l’agrobiodiversité et les bienfaits des légumineuses. Une école portugaise, impliquée depuis le début, a remporté notre premier concours photo et vidéo. Une association de jardiniers en Allemagne a réalisé un blog autour de l’expérience. Le succès de cette expérience a valu à Increase le Grand Prix de la science citoyenne de l’UE en 2024. En participant, chaque citoyen contribue à préserver un patrimoine inestimable et à écrire une nouvelle page de l’histoire des plantes cultivées.

Réveillez le Jacques qui sommeille en vous ! Rejoignez cette aventure unique en vous inscrivant dès maintenant, et jusqu’au 28 février, sur l’application Increase CSE.


Léna Prochnow et Tamara Messer d'Eurice ont également contribué à la rédaction de cet article. Nous remercions tous les citoyens et citoyennes qui ont contribué à l’expérience de science citoyenne proposée par Increase, ainsi que l’ensemble des partenaires du projet qui soutiennent cette initiative et contribuent à son succès et, les étudiants et étudiantes qui participent chaque année à la préparation et à l’envoi des graines.The Conversation

Maud Tenaillon a reçu des financements du programme de l'union européenne H2020 INCREASE (No. 862862).

Elena Bitocchi a reçu des financements du programme de l'union européenne H2020 INCREASE (No. 862862).

Elisa Bellucci a reçu des financements du programme de l'union européenne H2020 INCREASE (No. 862862)

Kerstin Neumann a reçu des financements du programme de l'union européenne H2020 INCREASE (No. 862862)

Roberto Papa a reçu des financements du programme de l'union européenne H2020 INCREASE (No. 862862)

Quelle est votre réaction ?

like

dislike

love

funny

angry

sad

wow