Pourquoi les entreprises allemandes aiment tant la France
Avec le retour du protectionnisme aux États-Unis et en Chine, la France redevient un marché clé pour l’Allemagne. Avec quelles réussites ? Récit de management interculturel.
Avec le retour du protectionnisme aux États-Unis et en Chine, la France redevient un marché clé pour les entreprises allemandes. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI), fer-de-lance du « Mittelstand » et du modèle économique allemand investissent en France. Avec quelles pratiques et réussites ? Récit de management interculturel.
Fin 2024, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) revoit à la baisse ses prévisions de croissance pour la France et l’Allemagne. Les deux principales économies européennes devraient connaître respectivement une croissance de 0,9 % et 0,7 % de leur PIB en 2025, soit un recul de 0,3 point par rapport aux prévisions annoncées en septembre. Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants que l’OCDE relève de 0,1 point la croissance mondiale qui devrait s’établir à 3,3 % en 2025, portée par le dynamisme de l’économie américaine.
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Ces prévisions pessimistes concernent en particulier les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Elles désignent les organisations qui comptent entre 250 et 4 999 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 1,5 milliard d’euros. Leur performance dépend des commandes effectuées par les grands groupes. L’Allemagne compte 12 500 ETI, contre 5 500 pour la France. Elles forment le fameux « Mittelstand », au cœur de la réussite du modèle économique allemand. Ces entreprises familiales sont souvent spécialisées dans le domaine industriel et se distinguent par leur compétitivité à l’échelle mondiale.
La France, un marché clé pour l’Allemagne
Avec un volume de 189,6 milliards d’euros, la France constitue le quatrième partenaire commercial de l’Allemagne en 2023, et ce, derrière la Chine – 254,2 milliards d’euros –, les États-Unis – 252,5 milliards d’euros – et les Pays-Bas – 214,8 milliards d’euros. Face au durcissement des mesures protectionnistes annoncées par les gouvernements chinois et américain, les ETI allemandes pourraient renforcer leur présence sur le marché français dans les années à venir. Pour y parvenir, elles doivent s’affranchir de nombreux obstacles qui peuvent compromettre les succès escomptés.
Dans ce contexte, nous avons réalisé une étude de cas auprès d’une ETI allemande du secteur de la machine-outil. Nous avons mené 30 entretiens semi-directifs auprès des dirigeants de sa filiale française, de ses clients en France et d’experts du management franco-allemand. L’analyse des données collectées met en relief les obstacles auxquels l’entreprise a dû faire face dans son développement sur le marché français et les solutions qu’elle a adoptées pour les surmonter.
Créer une filiale en France
L’ETI allemande s’est d’abord appuyée sur sa réputation et la qualité des produits Made in Germany pour exporter ses produits sur le marché français. Toutefois, elle n’a pas réussi à développer ses ventes. L’entreprise était confrontée à deux obstacles majeurs :
Le handicap de l’extranéité (liability of foreignness), lié à sa méconnaissance des règles du jeu locales ;
le handicap de la non appartenance aux réseaux (liability of outsidership), lié à son absence dans les réseaux d’affaires en France.
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La société décide alors de créer une filiale afin de mieux répondre aux attentes de ses clients et de développer ses réseaux d’affaires en France. Elle recrute des salariés bilingues et biculturels pour surmonter les problèmes linguistiques et pour gérer les différences culturelles franco-allemandes. Celles-ci concernent en particulier la gestion du temps, la gestion de la relation client et le style de communication.
Management interculturel
L’ETI allemande utilise le management interculturel pour surmonter les obstacles de l’extranéité et de la non-appartenance aux réseaux. En effet, les différences culturelles entre la France et l’Allemagne sont marquées. La culture française est polychronique – plusieurs activités sont réalisées en même temps. La culture allemande est plutôt monochronique – le temps est utilisé de manière linéaire et programmé avec précision. En France, les distances interpersonnelles sont plus faibles ; les relations développées entre les personnes jouent un rôle important dans le contexte des affaires. Dans la communication, les interlocuteurs français font souvent référence au contexte, alors que les interlocuteurs allemands sont habitués à fournir des informations plus détaillées.
L’entreprise parvient ainsi à développer ses ventes et à valoriser la réputation et la qualité des produits Made in Germany. Elles lui confèrent un avantage concurrentiel notable sur le marché français. « Le client français demande et souhaite beaucoup plus d’assistance, souhaite plutôt un retour d’information et aimerait également en avoir beaucoup plus. L’effort d’assistance est définitivement plus important que pour les clients allemands » rapporte un responsable régional des ventes de la filiale française.
Pour surmonter le handicap de la non-appartenance aux réseaux et devenir insider local, l’entreprise cherche à s’intégrer dans les réseaux d’affaires en participant à des salons professionnels en France –, par exemple au salon France innovation plasturgie à Lyon. Ses salariés bilingues et biculturels sont à l’aise pour communiquer avec les clients français qui préfèrent un style de communication plus indirect et plus implicite qu’en Allemagne. Le directeur de la filiale française, interviewé, le confirme :
« Ce que nous essayons aussi de faire avec la filiale, c’est de nous rapprocher d’organismes, qu’ils soient professionnels ou régionaux […]. Ainsi, le fait de participer avec eux à des salons nous apporte un réseau de clients, des contacts régionaux. »
Made In Germany avec French Touch
Les résultats de notre étude mettent en relief les principaux obstacles auxquels les ETI allemandes doivent faire face lorsqu’elles cherchent à se développer sur le marché français. Ils mettent en relief les solutions qu’elles peuvent adopter pour devenir des « insiders locaux » : proposer des produits Made in Germany avec de la French Touch.
La forte instabilité économique et politique des deux côtés du Rhin pourrait accentuer les obstacles rencontrés par les entreprises sur le marché voisin. Selon l’enquête annuelle « Going International », menée par la Chambre de commerce et d’industrie allemande – Deutsche Industrie und Handelskammer, (DIHK) –, 61 % des dirigeants d’entreprises interrogés constatent une augmentation des obstacles sur les marchés internationaux en 2024. Il s’agit du taux le plus élevé enregistré depuis la réalisation de la première enquête en 2012 où le chiffre était de 34 %.
Une tendance loin de s’amoindrir. Mais une opportunité pour utiliser le management interculturel dans l’implantation des entreprises allemandes en France.
Cet article a été co-écrit avec Nino Ruscigno, diplômé de l’Executive DBA, IAE Nice, Université Côte d’Azur.
Ulrike Mayrhofer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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