L’université, un service public sous pression budgétaire

Alors que la démographie étudiante reste à un haut niveau, les universités doivent faire face à des contraintes budgétaires, de plus en plus fortes, qui se répercutent sur chercheurs et étudiants.

Jan 14, 2025 - 10:43
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L’université, un service public sous pression budgétaire

Alors que la démographie étudiante reste à un haut niveau, les universités doivent faire face à des contraintes budgétaires, de plus en plus fortes, qui se répercutent sur chercheurs et étudiants.


La fin de l’année 2024 a été marquée par les premiers signes d’une mobilisation des universités. Situation inhabituelle, les présidents d’université eux-mêmes, soit individuellement soit via leur association France Universités, ont directement participé au mouvement afin d’alerter l’opinion sur leurs difficultés budgétaires. Entre la conjoncture financière défavorable de l’État, le maintien d’un haut niveau de démographie étudiante et leurs contraintes d’investissement et de recrutement, les établissements dans leur diversité traversent une période délicate.

Pour y faire face, ils se tournent vers leur ministère de tutelle qui, en dépit d’évolutions récentes vers plus d’autonomie, assure par dotation encore 80 % de leurs budgets. Cette situation n’est pas nouvelle et la crise actuelle intervient au terme d’un processus historique dont il s’agit de retracer quelques jalons.

Mobiliser l’histoire pour recontextualiser une situation présente ne se fait pas sans précautions. Le passé est un réservoir dans lequel tel ou tel acteur peut puiser pour alimenter son récit présent et lui donner, par cette régression temporelle, une force argumentative supplémentaire. Néanmoins, les failles de la mémoire collective administrative, les carences de l’historiographie sur l’enseignement supérieur font de l’histoire un éclairage précieux pour comprendre la situation contemporaine.

Un état de crise budgétaire quasi endémique

L’enseignement supérieur français est le produit de plusieurs moments et mouvements réformateurs qui, depuis 1968, ont organisé la disparition des facultés et la réorganisation des enseignants et des étudiants en de nouvelles structures pluridisciplinaires : les universités.

À leur tête, des présidents élus parmi des universitaires affirment peu à peu leur fonction et tentent collectivement de peser dans la longue marche pour des universités.


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Travailler sur les archives des présidents, et en particulier de leur association nationale, la Conférence des présidents d’université (l’ancêtre de France Universités), a été un moyen de mesurer l’état quasi endémique des difficultés budgétaires des établissements depuis 1968. De fortes tensions pèsent pour assurer les missions établies par le législateur : donner une formation initiale et continue de qualité au plus grand nombre, nourrir une excellence scientifique de classe mondiale, connecter l’université à son environnement social et économique.

Pour remplir ces missions de service public, la logique de dotation corrèle le budget des établissements à des versements de l’État. Mais ce dernier réagit toujours avec retard aux variations d’effectifs, aux besoins de création de nouvelles filières ou aux nécessités d’adaptation de la recherche. Ainsi l’université en France reste sous-financée au regard de nos voisins européens ou d’autres secteurs de l’enseignement.

Des configurations variables

La crise des établissements n’a cependant pas toujours pris la même forme ni suscité les mêmes réactions au fil des configurations du monde universitaire. Dans l’ensemble, les périodes de massification étudiante, plus ou moins planifiées au cours des années 1960 et 1980-1990, accroissent les difficultés.

Dans les années 1970 par exemple, ce sont surtout les contraintes d’inflation massive qui pèsent sur les universités. Chaque établissement – voire chaque unité interne – cherche ainsi en cours d’année à obtenir des rallonges pour assurer ses missions. La Conférence des présidents d’université naissante incarne un espace de contact avec l’administration centrale pour peser sur le rapport de force, mais rarement elle ne s’est comportée comme un acteur collectif.

Plus tard, en 1995, un État qui n’honore pas ses engagements place des universités comme Rouen dans des situations extrêmement difficiles. La contestation étudiante prospère dans ce contexte et pousse le Ministère à une rallonge de près d’un milliard de francs pour éteindre la colère. Dans les années 2000 des locaux sont parfois fermés et les chauffages d’universités coupés dans un contexte de refonte des règles de calcul des dotations.

Les moments de fort engagement financier demeurent l’exception historique. La période de construction, d’embauche et de revalorisation des carrières sous le ministère de Lionel Jospin (1988-1992) qui a accompagné la seconde massification étudiante, prend ainsi toute sa singularité.

L’autonomie, enjeux d’une revendication présidentielle

Cet état permanent de crise et de dépendance depuis la création des universités a nourri des revendications des présidents pour une autonomie des établissements. Les demandes collectives pour davantage de liberté financière soit par une contractualisation pluriannuelle de certains moyens (afin que les universités puissent financer des projets autonomes de développement) soit par une diversification des ressources (collectivités locales, fondations, contrats de formation avec des entreprises, ou frais d’inscription) s’accordent parfois avec des conceptions issues du monde syndical, politique ou administratif.


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La notion d’autonomie qui se retrouve dans les travaux de la Conférence des présidents d’université demeure un concept aux sens fluctuant au gré des périodes et des acteurs. Comme le rappelle la sociologue Christine Musselin, l’autonomie des universitaires n’est pas l’autonomie des universités. L’autonomie autogestionnaire défendue par le SGEN-CFDT jusqu’aux années 1980 n’est pas l’autonomie fonctionnelle d’opérateurs proche d’un modèle libéral de Nouveau Management public.

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Sur le plan budgétaire, les transformations se sont accélérées en deux temps. D’abord au début des années 1990 avec le développement de la logique contractuelle qui a permis à des universités de tisser, autour de projets concrets, des plans pluriannuels de financements avec l’État et les collectivités. Ensuite, et surtout, avec la loi LRU de 2007 qui a ouvert aux établissements la responsabilité de la gestion des bâtiments et de leurs ressources humaines.

17 ans après, le paysage s’est considérablement transformé sous l’effet de fusions et de diversification des universités (visible dans l’éclatement de leurs organisations représentatives entre AUREF et UDICE). Cependant, pour toutes, les compétences nouvelles deviennent un défi considérable dans une période où la pression s’accroît sur les besoins de formation et de recherche et où les dotations ne suivent pas. Évoqué par le président grenoblois Jean-Louis Quermonne dès 1973, le risque d’une « autonomie de dégagement » de ses responsabilités par l’État plane sur tous les établissements et nourrit leurs actions collectives de Strasbourg à Avignon.

Quelles sont les spécificités à la crise actuelle ?

Intervenue dans ce contexte, la période actuelle apparait spécifique. Elle s’inscrit dans un pic démographique de l’enseignement supérieur (+ 700 000 étudiants en 13 ans) qui, pour la première fois depuis les années 1960, ne s’est pas accompagné d’une hausse des moyens.

Faisant le dos rond, les gouvernements successifs ont institué une régulation des flux (Parcoursup) en attendant une baisse des effectifs. L’excédent a été en partie épongé par l’expansion nouvelle de l’enseignement supérieur privé (depuis 2010, le nombre d’étudiants du privé a presque doublé représentant 26 % du total).

Septembre 2022 : des universités fermeront leurs portes cet hiver pour faire des économies d’énergie (France 24).

Les tensions budgétaires globales et l’instabilité politique viennent ainsi frapper un secteur déjà soumis à une forte tension entre le large éventail de ses missions et les moyens qu’il a pour les remplir. La crise actuelle rappelle que les universités françaises demeurent un service public pour la communauté nationale. Ainsi au bout de la chaîne, les difficultés qui s’accumulent pèsent sur des usagers : milieux économiques, territoires et familles.

Moins d’argent pour l’enseignement supérieur, c’est moins de places, moins de diversité des formations et de capacité d’adaptation collective aux transformations du monde. Au niveau de la recherche par exemple, l’accentuation des difficultés d’intégration des jeunes docteurs à des postes permanents nourrit une baisse de l’attractivité du doctorat français (8 000 étudiants en moins depuis 2011 à rebours des évolutions générales) et nuit à la qualité et à la diversité de la science.

La mobilisation de France Universités et d’autres acteurs est à mettre en rapport à ce contexte. Quelles en seront les issues ? Là aussi les exemples historiques montrent que la pression des mobilisations est d’autant plus efficace qu’elle montre que des enjeux internes à l’université peuvent toucher la société entière. À l’automne 1995, face à l’élargissement de la contestation universitaire, un ministre avait dû créer en urgence 4000 postes de personnels et promettre 369 millions de francs de rallonge budgétaire. Ce ministre s’appelait François Bayrou.The Conversation

Etienne Bordes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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