Pénurie de médecins : les « Padhue », ces praticiens à diplôme hors Union européenne, face aux réglementations françaises

Précarité et instabilité professionnelle… La situation des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) qui pallient la pénurie de médecins à l’hôpital est révélée.

Jan 23, 2025 - 17:41
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Pénurie de médecins : les « Padhue », ces praticiens à diplôme hors Union européenne, face aux réglementations françaises

Procédures de vérification des connaissances même quand ils sont déjà en poste, précarité, instabilité professionnelle… Le sort des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) qui pallient le manque de médecins à l’hôpital est peu à peu révélé.


Le manque de médecins en ville comme à l’hôpital, les déserts médicaux, l’engorgement des services d’urgence… ces termes reviennent dans l’actualité de manière récurrente depuis une dizaine d’années et traduisent les difficultés d’accès au soin en France. Cela mène à une réflexion de fond pour essayer d’y faire face.


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En parallèle, de nombreux médecins étrangers contribuent pleinement au fonctionnement de la santé en France. Pourtant, leur parcours est semé d’embûches.

La situation de ces médecins étrangers peu à peu révélée

Certains événements récents, notamment la crise sanitaire du Covid, ou encore les derniers changements de réglementations les concernant qui les ont poussés à manifester dans les rues, permettent peu à peu de révéler la situation des praticiens à diplôme hors Union européenne (plus connus sous l’acronyme, « Padhue ») dans les hôpitaux français.

Ces médecins étrangers venus travailler en France sont essentiels au fonctionnement des hôpitaux. Pourtant on ne le reconnaît pas toujours.

Dans notre travail de recherche (parution à venir), nous sommes allés à la rencontre de certains d’entre eux afin d’obtenir, dans la mesure du possible, leurs propres sentiments et réactions face au paradoxe qui existe, entre leurs attentes en arrivant en France et la réalité à laquelle ils sont confrontés sur place.

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Avant le départ : quelles sont leurs attentes ?

Les diplômes de médecine obtenus en dehors de l’Union européenne n’étant pas reconnus en France, beaucoup de ces praticiens exercent ici sans avoir cette reconnaissance. Ils rentrent dans un parcours avec pour objectif in fine d’être admis par l’Ordre des médecins.

En 2023, selon les chiffres du Conseil national de l’Ordre des médecins, les praticiens à diplôme étranger exerçant à l’hôpital français en activité régulière représentaient 13,4 % des 197 417 médecins actifs en France, soit une augmentation d’environ 85 % par rapport à 2010. Un peu moins de la moitié d’entre eux étaient des médecins à diplôme européen. Il convient de rajouter environ 3 000 médecins en cours de reconnaissance de diplôme.

Ces chiffres confirment la place non négligeable occupée par les praticiens à diplôme non européen dans le système de soins français.


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Les entretiens réalisés avec ces médecins ont permis de nous éclairer sur les raisons personnelles et professionnelles de leur venue en France, qui est d’ailleurs rarement leur premier pays de destination.

La raison principale de leur départ reste professionnelle. Elle se fonde sur un manque de moyens, tant en termes matériels que d’encadrement. Ils ont l’impression d’être limités dans leur apprentissage et de disposer de très peu de perspectives d’avenir, avenir qu’ils viennent chercher en France avec comme objectif de pratiquer de la bonne médecine en étant poussé vers l’excellence.

Les raisons personnelles apparaissent souvent au second plan. Elles ont toutefois le mérite d’exister. Ils citent notamment le désir d’une meilleure qualité de vie, pour eux-mêmes comme que pour leur famille, même s’ils commencent souvent par immigrer seuls puis font venir leur famille dans un second temps une fois qu’ils en ont les moyens.

L’arrivée en France : quel parcours de reconnaissance ?

Le parcours est long pour qu’un diplôme hors Union européenne soit reconnu en France. Au contraire, un diplôme européen sera reconnu d’office, ce qui a été relativement critiqué par les praticiens non européens que nous avons interrogés.

Ces derniers doivent tout d’abord passer des épreuves de vérifications des connaissances (EVC) qu’ils préparent tout en travaillant déjà à l’hôpital sous des statuts assez précaires, en étant moins bien payés que des internes français, pour des durées de six mois renouvelables (thèse de doctorat de la géographe Victoire Cottereau, 2015).

Après avoir réussi ces EVC, les praticiens à diplôme non européen rentrent dans ce que l’on appelle le « parcours de consolidation », pour une durée de deux ans, pendant laquelle ils exercent toujours à l’hôpital. Ils déposent ensuite un dossier afin de recevoir un avis de la Commission d’autorisation qui dépend du ministère de la santé, pour aboutir à une autorisation d’exercice.

En décembre 2023, il avait été décidé que les non-lauréats aux Épreuves de Vérifications des Connaissances de l’année 2023 ne se verraient pas renouveler leur contrat au 1er janvier 2024. Cette décision, relayée dans les médias, avait fait beaucoup de bruit. Elle avait également permis de révéler la situation de ces « Padhue ». Finalement, le gouvernement les avait autorisés à continuer à travailler avec des attestations provisoires d’exercice jusqu’à un nouveau passage des épreuves en 2024.

Soumission au chef de service, précarité…

Le désir de connaissances et de formation des praticiens Padhue est assouvi. Mais cela ne se fait sans sacrifice de leur part. Tout d’abord, ce qui apparait flagrant dans les entretiens passés, et qui est conforté dans la thèse de doctorat en médecine de Marion Radi en 2020 est cette relation plus que déséquilibrée avec le chef de service.

En effet, c’est souvent le chef de service qui décide de renouveler ou non leur contrat, dont dépend ensuite le titre de séjour. Il en découle souvent :

un évitement de prise de position susceptible d’être désapprouvée par le chef de service, une sensation d’être sans cesse sur le qui-vive, un besoin permanent de devoir prouver ses compétences afin qu’elles soient considérées par l’ensemble de l’équipe…

Concernant le titre de séjour, lors des entretiens, nous avons également observé que les démarches administratives sont omniprésentes dans leur esprit et dans leur vie :

aller-retours à la préfecture, périodes où ils sont sans-papiers et soumis aux délais pour les obtenir… alors qu’en parallèle ils endurent une charge de travail importante.

À ces démarches administratives se rajoutent aussi la solitude, l’éloignement avec la famille, le stress du concours, etc. Beaucoup décrivent aussi la nécessité de déménager en fonction de l’affectation imposée ou des contrats qu’ils peuvent obtenir.

Ces éléments relèvent la précarité et l’instabilité de leur situation, toutefois améliorées après avoir réussi les épreuves EVC ce qui était le cas des médecins interrogés.

Une longue procédure de recrutement… pour des besoins urgents

La plupart des praticiens Padhue comprennent totalement le besoin de devoir passer par une sorte de vérification des connaissances, afin de s’assurer des qualités des médecins recrutés. Ils ne comprennent pas en revanche que la procédure soit identique pour tous les médecins hors Union européenne – qu’ils soient déjà en poste ou non – et que les médecins européens n’y soient pas soumis.

De plus, cette procédure reste loin d’être idéale en raison de tout ce qu’elle implique, notamment le paradoxe entre le temps long qu’elle nécessite et le besoin urgent de médecins. À cela, s’ajoute une instabilité professionnelle qui rend difficile la régularité de la situation en France et surtout implique une souplesse, une disponibilité et une augmentation de la charge de travail. Sans parler enfin de l’isolement personnel qui découle de cette instabilité professionnelle et il est difficile pour eux en effet de faire venir leur famille…

Tous ces éléments nous permettent de mesurer l’état d’esprit des Padhue alors qu’ils travaillent en tant que médecin à l’hôpital. C’est grâce à une volonté et à une soif d’apprendre et de se former qu’ils parviennent à endurer ces situations complexes, et ainsi à soigner nos malades…

La réglementation dans ce domaine évolue sans cesse. Face à une prise de conscience grandissante et à la multiplication des témoignages, il sera donc intéressant de refaire le point d’ici quelques temps sur la situation des Padhue…The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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