Biélorussie : Loukachenko en route pour son septième mandat
Ce dimanche, Alexandre Loukachenko sera reconduit à l’issue d’un scrutin dénué de suspense, face à des faire-valoir, les opposants réels étant emprisonnés ou exilés.
À 70 ans, Alexandre Loukachenko, qui dirige d’une main de fer la Biélorussie depuis maintenant plus de trente ans, se représente, dimanche 26 janvier, pour un nouveau mandat de cinq ans, dans un paysage politique plus désert que jamais, depuis l’écrasement de l’opposition en 2020-2021.
Le 23 octobre 2024, la Commission électorale de Biélorussie fait savoir que la prochaine présidentielle se tiendra le 26 janvier 2025. L’inamovible dictateur Alexandre Loukachenko, à la tête de l’État depuis 1994, avait annoncé sa candidature pour un septième mandat, dès février 2024.
Où en est aujourd’hui cet État de quelque 10 millions d’habitants, pratiquement satellisé par la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022, et théâtre en 2020-2021 d’un vaste mouvement de contestation réprimé dans la plus grande violence ?
« Dites-leur à tous que je me présente »
Cette nouvelle présidentielle intervient dans un moment très particulier, inédit en Biélorussie. Ce petit État ex-soviétique est plus que jamais isolé sur la scène internationale du fait de son soutien à l’invasion de l’Ukraine. Si Minsk ne participe pas directement à la guerre, le régime offre un soutien politique et logistique à Moscou, ce qui le condamne à subir les mêmes sanctions. Vladimir Poutine s’est assuré de la vassalisation de sa voisine, notamment à travers l’extension de sa doctrine nucléaire à la Biélorussie en cas d’agression de cette dernière.
Du point vu national, la situation de la Biélorussie est extrêmement tendue depuis la présidentielle contestée de 2020. Il y a cinq ans, les Biélorusses ont manifesté de façon massive contre le résultat du scrutin donnant Loukachenko vainqueur. Depuis, la répression n’a pas réellement cessé.
Selon l’ONG de défense des droits humains Viasna, dont le directeur Ales Bialiatski, Prix Nobel de la paix 2022, croupit en prison depuis 2021, entre 1300 et 1400 personnes seraient encore emprisonnées pour raisons politiques.
Les familles des leaders de l’opposition dénoncent régulièrement les conditions de détention de ces derniers, qui n’ont accès ni à des soins adéquats ni au moindre contact avec l’extérieur. Cette situation n’est pas sans rappeler celle d’Alexeï Navalny, emprisonné dans le grand nord russe pendant trois ans jusqu’à sa mort derrière les barreaux le 16 février 2024, mais les Biélorusses ne bénéficient pas du soutien international dont celui-ci faisait l’objet.
C’est dans ce contexte autoritaire, similaire à celui qui prévaut en Russie, que se sont tenues, début 2024, les élections législatives et locales annonciatrices du déroulement de la présidentielle de 2025. La commission électorale annonce un taux de participation de 73 % et, partout, des victoires écrasantes des représentants du pouvoir. D’ailleurs peu de candidats indépendants ont pu se présenter. L’opposition en exil avait appelé au boycott des élections. Très peu d’États ont réagi aux résultats. Il est à signaler néanmoins, un tweet de Matthew Miller, alors porte-parole du Département d’État des États-Unis, dénonçant des « élections frauduleuses ».
Ultime provocation, art dans lequel il excelle, Loukachenko choisit ce moment pour se porter candidat à sa réélection. « Dites-leur à tous que je vais me présenter », scande-t-il, ciblant à l’avance les critiques de l’opposition et de la communauté internationale. Il menace également ses concitoyens qui envisageraient de contester les résultats des législatives et, partant, son autorité : il a tiré les leçons de 2020 et ne permettra aucune « rébellion ».
« Un simulacre » d’élections « sans véritable processus électoral » « mené dans une atmosphère de terreur »
Qu’attendre de la présidentielle de 2025 ? Peu de choses : les jeux sont a priori faits d’avance, et Loukachenko raflera un septième mandat.
En 2020, l’opposante Svetlana Tikhanovskaïa avait pu se présenter à la présidentielle (en remplacement de son époux emprisonné). Selon de nombreux observateurs, elle aurait recueilli plus de suffrages que Loukachenko ; le régime a toutefois annoncé la victoire du sortant, et Tikhanovskaïa avait été contrainte de s’exiler en catastrophe pour échapper à l’arrestation. Résidant désormais à Vilnius, en Lituanie, elle est devenue l’icône de l’opposition biélorusse.
Dans un entretien accordé à Euronews en octobre dernier, elle explique que les Biélorusses sont plus unis que jamais contre Loukachenko mais vivent dans la terreur des répressions. Par exemple, à l’annonce de la date des élections, sept journalistes indépendants d’un média en ligne régional ont été arrêtés pour « soutien à des activités extrémistes », motif premier légitimant l’emprisonnement des opposants. De même, la journaliste Volha Radzivonava a été condamnée en décembre 2024 à quatre ans de prison à la suite de reportages critiques sur la répression visant l’opposition. Malgré des libérations au compte-gouttes, quelque 1 300 prisonniers politiques sont toujours derrière les barreaux.
Dans ce contexte, Svetlana Tikhanovskaïa préfère que l’opposition, condamnée à la clandestinité ou à l’exil, ne présente pas de candidat à la présidentielle. Elle sait combien le régime est impitoyable avec les leaders de l’opposition : son mari, ex-candidat en 2020, est toujours emprisonné et ne donne plus de signes de vie. Cette solution du boycott est souvent utilisée par les opposants de divers pays, comme on l’a récemment vu par exemple en Serbie notamment dans les Balkans : pour contester une démocratie qui n’est que de façade, les oppositions prennent le parti de ne pas jouer le jeu pseudo-démocratique du pouvoir.
En effet, pourquoi risquer sa vie pour une élection d’opérette dont le résultat est connu d’avance ? La présidentielle du 26 janvier 2025 sera probablement encore moins démocratique que les précédents scrutins, si l’on en juge par le déroulement des législatives de 2024 : les rideaux des isoloirs ont été supprimés des bureaux de vote, les électeurs se sont vu interdire de prendre en photo leur bulletin, aucun observateur de l’OSCE n’a été autorisé. Et comme il fallait s’y attendre, la liste des candidats officiels à la présidentielle (ayant recueilli le nombre de parrainages populaires requis et validés par la Commission électorale) n’est composée que d’alliés du président… et du président lui-même, bien sûr ! Les candidats indépendants ont rapidement été mis de côté, notamment pour « violation de la procédure de soumission des documents ».
Tikhanovskaïa préfère donc ne pas jouer le jeu de cette mascarade électorale et ne pas mettre dans un danger encore plus grand les forces d’opposition sur place. Elle affirme que son rôle aujourd’hui et de préparer l’avenir. Elle garde espoir qu’une occasion se présentera de renverser Loukachenko (invoquant la récente chute de Bachar Al-Assad, autre dictateur allié de Moscou, pour souligner que rien n’est impossible) et se donne pour mission de garder les forces vives unies pour y parvenir le moment venu.
Que peut faire la population ?
Le 26 janvier prochain est la date du premier tour : un second tour est théoriquement prévu si aucun candidat ne dépasse les 55 % au premier, mais la cause est déjà entendue. Rappelons que, hormis sa première élection, en 1994, Loukachenko a toujours été élu dès le premier tour. Ce scrutin ne changera rien au régime biélorusse. Le président et ses alliés conserveront un pouvoir dénué de réel soutien populaire. Protégé par la doctrine nucléaire russe, l’homme fort de Minsk sait que la communauté internationale ne réagira pas au-delà de simples communiqués de presse. D’ailleurs, que pourrait-elle faire de plus, la Biélorussie étant déjà sous le coup de multiples sanctions internationales ?
Tous les regards se portent désormais sur la population. Que va-t-elle faire à l’annonce des résultats ? Prendra-t-elle le risque, comme en 2020, de descendre dans la rue, consciente de la répression sans faille qui l’attend ? ou va-t-elle, comme le demande Svetlana Tikhanovskaïa, courber le dos et attendre patiemment son heure ?
Pauline Soulier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Quelle est votre réaction ?