Mutuelles : vers une réforme pour endiguer la spirale des prix

Les tarifs des cotisations des mutuelles ne cessent d’augmenter depuis 2023. Les causes ne résident pas seulement dans la hausse des dépenses de santé. Décryptage et analyse des conséquences.

Jan 16, 2025 - 16:01
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Mutuelles : vers une réforme pour endiguer la spirale des prix

Les cotisations des mutuelles ne cessent d’augmenter depuis 2023. Les causes ne résident pas seulement dans l’augmentation des dépenses de santé. Cette croissance continue a des impacts importants sur les ménages. Décryptage et analyse des conséquences.


Les mutuelles annoncent une augmentation de leurs cotisations de 6 % en 2025. Chaque année, les mêmes raisons sont avancées pour expliquer ces augmentations de tarif, mais elles peinent de plus en plus à justifier une telle escalade.

Compte tenu des difficultés financières de l’Assurance-maladie, une réforme globale du financement de la santé s’impose.

Les fausses notes des mutuelles

La hausse de 20 % des cotisations entre 2023 et 2025 dépasse largement l’inflation (8,8 %) et l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (9,1 %). Ni l’élévation du coût de la vie ni celle des dépenses de santé ne justifient un tel écart. Chaque année, le secteur des mutuelles interprète pourtant la même partition, avec ses notes habituelles. Les causes mises en avant pour justifier les hausses sont le vieillissement de la population, la hausse des prix, le transfert de dépenses de l’assurance maladie ou encore la mise en œuvre du 100 % santé.

Bien que le vieillissement augmente les dépenses de santé, c’est l’assureur public qui en supporte le poids. Les patients chroniques, remboursés à 100 % par ce dernier, continuent pourtant de cotiser aux mutuelles. Ce transfert de charges représente un gain de 3,5 milliards d’euros pour les complémentaires depuis 2012.

Par ailleurs, les contrats individuels des retraités, bien plus lucratifs que les contrats collectifs des actifs, rendent le vieillissement globalement favorable aux mutuelles. Première fausse note.

Des prix inférieurs en France

Concernant l’argument des prix, la hausse des dépenses de santé repose à 80 % sur l’augmentation des volumes, et non sur les prix, qui n’ont augmenté « que » de 0,6 % par an depuis 2013. Les prix des biens et services de santé en France sont même 30 % inférieurs à la moyenne de l’OCDE.

Cette réalité bénéficie largement aux mutuelles, qui remboursent principalement des services dont les prix baissent en valeur réelle. Deuxième fausse note.

L’impact marginal du 100 % santé

Les transferts de dépenses sont une réalité certaines années, comme la hausse de 30 % à 40 % du ticket modérateur en dentaire en 2023, dont le surcoût est de l’ordre de 450 millions d’euros par an.

Cependant, ce surcoût est largement compensé par le déport en sens inverse des tickets modérateurs des patients chroniques d’une part et ne peut expliquer la hausse de 6 % en 2025, qui n’en contient aucune. Troisième fausse note.

À partir de 2023, l’impact du 100 % santé est devenu marginal. En outre, cette mesure a favorisé une marchandisation de ces biens et services avec des promotions mercantiles dénuées d’éthique, comme « 2 paires pour un euro de plus ». Ces dérives dont certains profitent sont payées indûment par tous. Quatrième fausse note.

Une partition incomplète

Parmi les arguments des mutuelles, certains semblent curieusement oubliés : les frais de gestion et les remboursements des médecines douces par exemple. Or, les premiers dépassent les 8 milliards d’euros en 2023 (20 % des cotisations), en hausse de 3 % par an depuis 2011 (soit plus de 2 milliards d’€). Elles sont largement dues surtout aux dépenses de communication (3,5 milliards d’€). C’est cher payé pour l’assuré !

Coûts de gestion des complémentaires santé et de l’Assurance-maladie en M€ depuis 2011

Fourni par l'auteur

Source : Drees – Institut Santé

Concernant les médecines douces, la généralisation d’une offre forfaitaire de 50 euros par séance d’un service non reconnu par les autorités scientifiques coûte plus d’un milliard d’euros aux assurés. Ce choix de mieux rembourser un chiropracteur qu’un spécialiste médical ne devrait pas être imposé à 96 % de la population française.

Un fardeau de plus en plus insoutenable pour la classe moyenne

La hausse effrénée des cotisations des mutuelles touche diversement la population française, mais son impact macroéconomique est indéniable. En 2025, les cotisations atteindront près de 56 milliards d’euros, soit environ 2 % du PIB, un prélèvement significatif pour les ménages et les entreprises.

Les premiers affectés par cette spirale inflationniste sont les retraités, qui financent 100 % des cotisations de leur contrat individuel, dont le tarif annuel est en moyenne deux fois plus coûteux à 70 ans (1800 €/an) qu’à 40 ans (900 €).

Triple peine pour les retraités

C’est la triple peine de l’entrée dans la retraite : un revenu qui baisse, des cotisations (financées à 100 % et non plus à 50 %) qui augmentent deux fois plus vite que l’inflation, et une qualité de contrat qui se détériore.

Si 56 % des actifs bénéficient d’un contrat de classe A dits très couvrants, c’est seulement 11 % des retraités, faisant partie des plus aisés. Avec un taux d’effort de près de 10 % du revenu disponible, cette classe moyenne de retraités n’a financièrement plus d’intérêt à continuer de payer des cotisations élevées pour des remboursements faibles.

Ces contrats représentent une hausse du coût du travail pour les employeurs de l’ordre de 14 milliards d’euros par an, sans apporter une amélioration de la santé au travail, qui se dégrade sensiblement à en juger à la forte augmentation des arrêts de travail.

Rappelons que les contrats collectifs (avec la C2S) coûtent à l’État près de 10 milliards d’euros par an sous forme d’exonérations fiscales et sociales.

L’urgence d’un nouveau modèle de financement

La classe moyenne, en particulier les retraités, ne peut plus porter à elle seule le poids d’un système à bout de souffle. La superposition d’un assureur privé et d’un assureur public pour la même prestation de santé est une aberration économique, qui n’existe dans aucun autre pays développé. Face aux défis croissants du financement de la santé, il est urgent d’imaginer un modèle socialement et économiquement optimisé, différenciant clairement les missions des financements publics et privés.

L’assurance-maladie, que nous appellerons assurance santé dans le nouveau modèle, garantira seule le remboursement des dépenses de soins essentiels. Un ticket modérateur non assurable dont le montant sera revu (environ 15 %) sera appliqué sur le remboursement des soins.

Un rôle redéfini pour les mutuelles

Toutes les conditions d’exonération actuelles (dont affections de longue durée, grossesse, accidents du travail) seront appliquées. Les personnes à faibles revenus (dont les étudiants) seront aussi exonérées du ticket modérateur dans le nouveau système. Dans ce modèle, les mutuelles se consacreraient aux fonctions suivantes :

  • Remboursement supplémentaire et prévention :

  • Les mutuelles couvriront les prestations non remboursées par l’assurance santé publique ;

  • Elles financeront activement la prévention, via des outils comme un contrat personnel de prévention ;

  • Régulation stricte et équitable :

  • Interdiction de toute discrimination basée sur des critères médicaux :

  • Affiliation obligatoire et individuelle pour limiter les effets de sélection adverse :

  • Subvention des plus défavorisés pour permettre leur adhésion :

  • Introduction d’un contrat standard :

  • Garanties définies et votées par le Parlement pour assurer une couverture minimale universelle :

  • Ce contrat permet une comparaison simplifiée des tarifs pour le grand public :

  • Liberté des opérateurs pour proposer des options supplémentaires avec des règles de transparence renforcée et une commercialisation obligatoirement disponible en ligne.

Futur système de financement de la santé en France

Source : Institut Santé

Des gains multiples

Les gains financiers de ce nouveau système seraient de l’ordre de 20 milliards d’euros réinvestis dans le système de santé (prévention, innovations, formation). Le renforcement de la solidarité et de l’universalité de l’accès à la santé, l’amélioration de la couverture du risque, une meilleure lisibilité et la responsabilisation des acteurs dans le financement seront d’autres bénéfices.

Cette réforme du financement de la santé est absolument majeure pour redresser notre système. Elle l’est aussi pour l’avenir de notre sécurité sociale et donc de notre protection sociale. Le financement de la santé est LE défi majeur des pays développés, avec celui de la transition écologique, pour les vingt prochaines années. L’objectif est aussi de faire du financement de la santé un levier majeur de création de richesse et de justice sociale, et non un centre de coûts.

Enfin, la réforme s’inscrit dans une réforme systémique, aux contours connus, qui comprend aussi la transformation de l’organisation des acteurs de la santé et de celle de la gouvernance du système.The Conversation

Frédéric Bizard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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