Le téléphone rouge Moscou-Washington permettra-t-il d’apaiser les tensions en cas de crise entre Trump et Poutine ?
La ligne directe russo-américaine a permis d’éviter de nombreuses crises géopolitiques. Mais son efficacité est aujourd’hui remise en question compte tenu des personnalités des deux chefs d’État.
Héritée de la guerre froide, la ligne de communication directe, qui relie la Maison Blanche et le Kremlin, le fameux « téléphone rouge » (en réalité, un système de courrier électronique sécurisé), est toujours fonctionnelle, mais semble peu utilisée depuis le début du conflit en Ukraine. Cet outil, qui a historiquement empêché nombre d’escalades des tensions entre les deux puissances, sur le plan nucléaire notamment, pourrait être employé par Poutine et Trump au cours des quatre prochaines années, mais pour qu’il soit efficace, les deux leaders devront adoucir leur manière habituelle d’échanger avec leurs homologues…
Donald Trump a répété à de multiples reprises que, une fois au pouvoir, il mettrait fin à la guerre en Ukraine en 24 heures. Cette promesse est bien sûr improbable – et ce, même sans une contrainte de temps aussi irréaliste. La fin conflit nécessite, pour commencer, que les Ukrainiens et les Russes acceptent de se mettre autour d’une table pour négocier – une gageure à l’heure actuelle. Les menaces intempestives et les exigences du président élu américain forceront peut-être les belligérants à débuter des discussions de paix. Mais son style diplomatique exubérant pourrait aussi accroître le risque d’escalade plutôt que mettre fin à la guerre.
Avec ses déclarations tapageuses, Trump se risque à un pari dangereux alors que la Russie se montre de plus en plus agressive, notamment sur le plan nucléaire. Depuis le début du conflit, en février 2022, Moscou a renforcé son arsenal nucléaire et a également menacé plusieurs pays – dont l’Ukraine, mais aussi le Royaume-Uni et la Finlande – d’employer des armes nucléaires à leur encontre ou de poster son armée à leurs frontières. La Russie a également révisé sa doctrine nucléaire et se dit prête à utiliser ses armes nucléaires tactiques contre des États n’en disposant pas si ces derniers sont soutenus par des puissances nucléaires ennemies.
Si la crédibilité des annonces du président élu au sujet du conflit russo-ukrainien n’est pas encore démontrée, la Russie et les États-Unis s’opposent aussi dans d’autres régions du monde. Au Moyen-Orient, notamment, où l’effondrement du régime d’Assad en Syrie a porté un coup à l’image de son allié russe sur la scène internationale. Dans cette région, les États-Unis soutiennent Israël tandis que la Russie soutient l’Iran, et les risques d’une montée des hostilités entre Téhéran et Tel-Aviv sont réels.
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La longue coopération entre Vladimir Poutine et son homologue chinois Xi Jinping, leur rejet partagé de la présence américaine en Asie-Pacifique, et les escarmouches croissantes en mer de Chine méridionale entre Pékin et d’autres puissances régionales sur fond de rivalités territoriales font de cette région un autre point chaud géopolitique, où Washington pourrait être confronté à la fois Moscou et à Pékin.
En somme, Donald Trump accède à la présidence à un moment où la probabilité qu’une crise géopolitique éclate est élevée. Le risque d’utilisation de l’arme nucléaire et celui d’une confrontation ouverte entre Moscou et Washington sont plus tangibles qu’à n’importe quel moment depuis la fin de la guerre froide en 1980.
Après la chute de l’URSS, la crainte d’une escalade des conflits susceptible de dégénérer en affrontement nucléaire s’est estompée, si bien que ce risque, aujourd’hui renouvelé, est inédit pour les jeunes générations. Néanmoins, la guerre froide avait vu naître entre les deux superpuissances de l’époque des garde-fous diplomatiques qui existent encore aujourd’hui. Le plus notable d’entre eux est la ligne de communication directe qui relie Washington et Moscou.
Cet outil – qui était à l’origine un télétype et qui repose aujourd’hui sur un système d’e-mails sécurisés – est le fruit de négociations sur la limitation des armements lors de la guerre froide. Il a été conçu comme une mesure préventive afin de réduire les tensions internationales et d’empêcher une guerre nucléaire.
Cette voie de communication exceptionnelle a été mise en place en août 1963 après la crise des missiles de Cuba de 1962. Cet épisode a montré, à l’époque, que les deux puissances étaient toutes deux prêtes à faire des concessions pour éviter de recourir à l’arme nucléaire. La crise avait finalement été résolue par une voie détournée, mais l’une des conclusions qui en avaient été tirées est que les communications directes et confidentielles entre chefs d’État pouvaient se révéler essentielles pour éviter le pire.
Un moyen efficace pour empêcher l’inimaginable
Cette ligne directe a été utilisée environ 18 fois pendant la guerre froide. Elle a joué un rôle dans les processus ayant permis d’éviter que des conflits régionaux, comme la troisième guerre indo-pakistanaise de 1971 et la guerre civile libanaise de 1978, ne se transforment en guerres mondiales.
Elle a également été salutaire lors de la guerre des Six Jours en 1967 pour éviter des erreurs qui auraient résulté d’une mauvaise communication. Via ce lien direct, le président américain de l’époque, Lyndon Johnson, avait pu rassurer le chef du gouvernement soviétique, Alexeï Kossyguine, en lui confirmant qu’il était bien informé que le navire américain USS Liberty avait été coulé par Israël et non par l’URSS.
De la même manière, six ans plus tard, dans le cadre de la guerre du Kippour, Léonid Brejnev et Richard Nixon ont réussi à désamorcer la tension qui avait résulté de l’accroissement de la préparation militaire des États-Unis, si bien que selon certains observateurs les deux pays s’étaient alors retrouvés très près d’une guerre nucléaire. Plus tard, en 1984, un message transmis via cette voie entre Moscou et Washington a permis d’éviter d’interpréter comme un acte hostile la déviation accidentelle d’un missile soviétique au-dessus de la mer de Barents dans l’Arctique vers la ville allemande de Hambourg (située à l’époque en Allemagne de l’Ouest).
En outre, la ligne directe russo-américaine a parfois été utilisée de manière effective en dehors des temps de crise. Par exemple, en 1986, Mikhaïl Gorbatchev a transmis une lettre manuscrite de 15 pages au président Ronald Reagan par cet intermédiaire. Cette lettre a contribué au développement de bonnes relations personnelles entre les deux dirigeants.
Leur relation a d’ailleurs joué un rôle déterminant dans la signature de plusieurs accords de limitation des armements de la part des deux superpuissances, et in fine, dans la fin de la guerre froide.
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Une voie diplomatique de dernier recours pour Poutine et Trump
Au cours du mandat qui s’ouvre ce 20 janvier, cette ligne directe pourrait se révéler utile pour Trump en vue de favoriser la paix en Ukraine et de désamorcer d’autres tensions géopolitiques. Le simple fait d’initier un contact avec Moscou via cet outil symboliserait son engagement pour une amélioration des relations bilatérales. Toutefois, s’il entend devenir un agent de la paix, le président élu devra modifier quelques-unes de ses habitudes en matière de politique étrangère.
Mes recherches suggèrent que l’emploi de la ligne directe est historiquement perçu par les deux parties comme un aveu de faiblesse. Dans toutes les situations où cette dernière a été utilisée, il s’agissait d’une démarche conciliante et non agressive. Or cela n’est compatible ni avec l’approche de Trump ni avec celle de Poutine, qui cherchent tous deux à projeter avant tout force et pouvoir.
Le président élu américain est connu pour son imprévisibilité et sa prédilection pour l’intimidation, les menaces et les moqueries en vue d’obliger ses homologues à se conformer à sa volonté. Ces caractéristiques sont contraires au fonctionnement de la ligne de communication directe russo-américaine qui nécessite patience, calme, civilité et cohérence afin d’aboutir à une réussite diplomatique.
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De plus, le ton agressif de Trump a très peu de chance de convaincre Poutine de coopérer et pourrait même d’aggraver les tensions avec Moscou. De sorte qu’au vu de mon étude des usages passés de la ligne de communication directe qui relie les États-Unis et la Russie, je me demande si leurs deux dirigeants actuels ont le tempérament adéquat pour l’utiliser de manière constructive. Il serait peut-être préférable pour Trump et Poutine d’écarter cet outil pour essayer d’instaurer la paix via des canaux diplomatiques plus traditionnels.
Cette voie de communication, au demeurant, pourrait toujours être utilisée en dernier recours. À ce titre, elle permettrait de rassurer la population dans le cas d’une escalade nucléaire où de tensions géopolitiques accrues, à l’heure où ces dernières peuvent subvenir rapidement et à tout moment.
Eszter Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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