La transition énergétique américaine à l’épreuve de Trump 2.0
Il y a les mots et les actes. Trump a eu des envolées virulentes sur les énergies renouvelables, notamment l’éolien offshore. Mais concrètement, que pourrait-il faire ? Pas forcément grand-chose.
Il y a les mots et les actes. Trump a eu des envolées virulentes sur les énergies renouvelables et, notamment, sur sa bête noire, l’éolien offshore. Mais concrètement, que pourrait-il faire ? Pas forcément grand-chose.
La réélection de Donald Trump a rempli d’effroi l’ensemble des acteurs et militants de la transition énergétique aux États-Unis. Leur inquiétude est d’autant plus grande que celle-ci semble enfin bien engagée. Les énergies renouvelables (hydraulique, éolien et solaire principalement) représentent aujourd’hui un quart de la production électrique aux États-Unis, deux fois plus qu’il y a dix ans, tandis que le charbon, dont la part dans la production électrique est passée de 50 à 15 %, poursuit son déclin sans que Trump n’ait nullement ralenti la chute durant sa première présidence malgré ses promesses de campagne.
Le Texas, un nouveau champion des renouvelables ?
Dans certains États, l’évolution est spectaculaire. Ainsi, au Nevada, le solaire photovoltaïque assure à lui seul aujourd’hui plus du quart de la production d’électricité contre quelques pour-cent à peine il y a dix ans. Dans l’Iowa, dans le Kansas, ou encore dans le Dakota du Sud (autant d’États solidement ancrés dans le camp républicain), l’éolien représente dorénavant entre 50 et 60 % du mix électrique. Même le Texas, longtemps exclusivement perçu comme une terre de pétroliers, est devenu un champion des énergies renouvelables où le solaire et l’éolien assurent aujourd’hui 30 % de la production électrique (contre 18 % il y a seulement cinq ans).
Ce déploiement massif d’énergies renouvelables, ainsi que le décollage des ventes de voitures électriques (VE) et le développement rapide de capacités industrielles de fabrication de ces technologies propres, doivent beaucoup à l’Inflation Reduction Act (IRA), texte emblématique de la présidence Biden, voté en 2022. Présenté à tort comme un plan de lutte contre le changement climatique (alors qu’aucun objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’y figure), l’IRA a en réalité pour ambition économique et stratégique de relancer la production industrielle américaine en développant une industrie verte et en relocalisant les chaînes de valeur des énergies renouvelables aux États-Unis.
Une décarbonation portée par l’Inflation Reduction Act
Ce plan repose principalement sur une large gamme de crédits d’impôt permettant aux investisseurs dans les énergies renouvelables de déduire fiscalement jusqu’à 70 % du montant de leur investissement, ou aux producteurs d’énergie propre de toucher une prime proportionnelle à leur production. L’IRA couvre l’ensemble des énergies et technologies propres, de la génération d’électricité décarbonée (solaire, éolien, nucléaire, géothermie, etc.) à la production d’hydrogène propre ou de carburants d’aviation durable (SAF), en passant par la fabrication des technologies propres, l’achat d’un VE (pour autant qu’il ait été fabriqué en Amérique du Nord), ou encore l’installation de panneaux solaires sur les toits des bâtiments.
Ces aides, prévues pour une durée de dix ans, visent à rendre ces technologies décarbonées plus compétitives par rapport aux options basées sur le gaz, sur le pétrole ou sur le charbon, afin de favoriser leur adoption et leur diffusion. En deux ans, l’IRA ainsi permis une hausse significative de la production d’électricité renouvelable (en particulier solaire, qui a bondi de plus de 40 % par rapport à la période équivalente précédant l’IRA), des investissements dans les technologies propres (+70 %) et des ventes de VE (près de 10 % de parts de marché en 2024, contre 2 % en 2020).
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Des aides qu’il serait difficile d’abroger
À plusieurs reprises durant la campagne électorale, Trump a qualifié l’IRA « d’arnaque verte » et a promis de l’abroger. Mais en a-t-il vraiment l’intention, ou les moyens ? Une partie de l’IRA, fondée non sur des crédits d’impôt, mais sur un système classique de subventions directes à des programmes de verdissement de l’économie (pour un montant de 120 milliards de dollars), a déjà été en grande majorité allouée par l’administration Biden, ce qui devrait rendre juridiquement difficile tout retour en arrière.
Surtout, les républicains, qui avaient unanimement voté contre en 2022, ont depuis appris à aimer l’IRA, dont le dispositif convient parfaitement aux intérêts industriels américains et qui bénéficie majoritairement aux circonscriptions républicaines, destinataires de 80 % des investissements liés à l’IRA. Même l’industrie pétrogazière y trouve son compte : non seulement l’IRA n’impose pas de cesser ni même de ralentir l’exploitation des énergies fossiles (qui a atteint des niveaux historiques sous Biden), mais il offre d’importantes aides en faveur des technologies de captage et stockage du CO2 et du secteur de l’hydrogène, qui profitent aux acteurs gaziers.
Ce que Trump pourrait changer
Certaines dispositions de l’IRA sont clairement menacées par le retour de Trump au pouvoir, dont celles protégeant l’environnement ou imposant des contraintes à l’industrie pétrogazière (comme la taxe sur les émissions de méthane prévue par l’IRA) ainsi que le crédit d’impôt en faveur des VE, qui aide avant tout les grands constructeurs automobiles historiques à rattraper leur retard sur Tesla, leader du marché. L’éolien, en particulier offshore, apparaît aussi comme une cible privilégiée de Trump, sans que les raisons en soient très claires.
Pour autant, Trump ne devrait pas toucher à l’architecture même de l’IRA, désormais défendu par de nombreux républicains. L’IRA est un formidable instrument de relance industrielle protectionniste et un puissant vecteur de relocalisation des activités industrielles sur le territoire américain. En la matière, la présidence de Biden s’est largement inscrite dans la continuité de celle de Trump, se réappropriant une partie de ses mesures protectionnistes, tout en y ajoutant de nouvelles (visant notamment les importations des VE chinois).
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La principale menace pesant sur l’IRA n’est en réalité pas tant idéologique que liée aux dépenses publiques que le dispositif engendrera sur la durée. Les crédits d’impôt étant non plafonnés, tout investisseur remplissant les conditions y a droit, sans limites budgétaires. En cas de succès auprès des investisseurs, l’impact de l’IRA sur les finances publiques pourrait s’avérer être très élevé (au-delà des 1 200 milliards de dollars sur dix ans, selon certaines évaluations). Cette absence de plafonnement des dépenses pourrait faire de l’IRA une cible toute désignée des politiques de réduction des dépenses publiques, alors que la nouvelle administration affiche sa volonté de sabrer dans le budget de l’État fédéral.
Il existe enfin un point de parfaite continuité entre les administrations américaines qui se succèdent, véritable impensé de la politique énergétique et climatique américaine où sont quasi totalement ignorées les notions de sobriété et de circularité. Réaliser des économies d’énergie ou réduire la consommation n’est pas un impératif, même pas une option. Cette logique du toujours plus (plus d’énergies renouvelables et plus d’hydrogène certes, mais aussi plus de gaz, de pétrole et de nucléaire) est pourtant incompatible avec une véritable transition énergétique et climatique qui ne pourra pas faire l’impasse sur la nécessité de maitriser la demande.
Ce texte est tiré du rapport « Bilan et perspectives de l’Inflation Reduction Act (IRA). La politique climatique et industrielle américaine à l’épreuve de Trump II » publié en deux volets par Zenon Research en janvier 2025.
Philippe Copinschi est chercheur associé à Zenon Research et enseignant à Sciences Po Paris
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