Iran : l’impact économique de la chute du régime syrien
La chute du régime syrien est un coup dur pour la République islamique d’Iran. Le départ de Bachar Al-Assad aura d’importantes conséquences pour l’économie iranienne déjà affaiblie.
La chute du régime syrien est un coup dur pour la République islamique d’Iran. Le départ de Bachar Al-Assad aura d’importantes conséquences pour l’économie iranienne déjà affaiblie.
La chute de Bachar Al-Assad, qui a fui la Syrie pour se réfugier en Russie le 8 décembre 2024, a déclenché une vague d’analyses sur l’effondrement de l’axe stratégique chiite de la République islamique d’Iran (RII) dans la région. Bien que peu étudiées et commentées, les causes et les conséquences économiques de cet effondrement révèlent une réalité fondamentale qui explique les mutations de la région.
Les investissements massifs effectués par la RII en Syrie depuis le déclenchement de la guerre civile syrienne en 2011 ont été motivés par des ambitions idéologiques « antisionistes, anti-occidentales », et une volonté de domination régionale, plutôt que par la recherche de rendements économiques. Selon différentes sources, ils sont estimés entre 30 et 50 milliards de dollars.
Désormais sous le contrôle de forces hostiles à la RII, ces investissements sont irrécupérables. Or, cette situation a épuisé des ressources vitales d’une économie iranienne déjà fragilisée et en pleine crise structurelle. Selon le FMI et la Banque mondiale, l’économie iranienne s’est contractée de 3,5 % en 2023, tandis que l’inflation a atteint 50 %. Ce recul économique trouve son origine dans plusieurs facteurs : la mauvaise gestion des ressources publiques, les sanctions internationales étouffantes et une dépendance excessive à des secteurs économiques fragilisés, comme le pétrole dont les exportations ont été considérablement réduites par les sanctions américaines.
Cette conjoncture signifie que le régime islamique n’a plus les moyens d’assurer ses ambitions régionales ni de répondre aux besoins de sa population. Avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, dont le premier mandat a été marqué par une politique de « pression maximale » sur Téhéran, et avec ses déclarations récentes promettant un durcissement supplémentaire des sanctions, la République islamique se retrouve dans une impasse économique. Elle n’aura ni les ressources pour continuer à financer son « axe de résistance » et ses alliés dans la région, ni la capacité de répondre aux revendications d’une population massivement mécontente, toujours mobilisée par des protestations incessantes contre la vie chère.
Des investissements militaires à perte
Depuis le début de la guerre civile syrienne, en 2011, la République islamique d’Iran (RII) a investi massivement dans des infrastructures et des logistiques militaires en Syrie telles que la base de Deir ez-Zor en 2013, le centre logistique de Lattaquié en 2015, incluant des entrepôts sécurisés et des tunnels souterrains, ainsi que la base aérienne T-4 de Tiyas, près de Palmyre, en 2017 pour accueillir des systèmes de défense aérienne russes et iraniens.
Les investissements de la RII en Syrie visaient à garantir une présence permanente dans la région et à lui assurer un accès direct à la Méditerranée. Cependant, ces investissements sont passés sous le contrôle de factions hostiles, entraînant des pertes financières colossales et un affaiblissement du corridor Iran-Syrie-Hezbollah avec la chute du régime Assad. Des cas comparables, comme la perte des bases militaires américaines aux Philippines, après la fin de la guerre froide, soulignent la vulnérabilité des investissements stratégiques dans des environnements instables.
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La dépossession du « soft power » et des sanctuaires de culte chiites
La RII a investi massivement dans des centres culturels, universités, lieux de culte et, surtout, dans les sanctuaires chiites comme ceux de Sayyida Zaynab et Sayyida Rouqayya, afin de renforcer son « soft power » idéologique en Syrie alaouite. S’ajoute à cela le projet Zaynab Suburb, près de Damas, pour accueillir des familles chiites, ainsi que l’hôtel Zaynab Palace, inauguré en 2016, comprenant 150 chambres, des espaces de prière et des services de restauration.
L’organisation Khatam al-Anbiya Construction Headquarters –appartenant au Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI)–, la fondation Imam-Khomeini pour le secours et la construction, et Jihad Foundation ont financé et supervisé ces projets, tandis que les milices du Hezbollah libanais et les brigades Fatemiyoun et Zeynabioun afghanes les ont protégés.
Zaynab et Ruqayya, petites-filles du prophète Muhammad, et respectivement la sœur et la fille d’Hussein ibn Ali, une figure centrale de la croyance chiite, symbolisaient l’influence idéologique chiite et généraient des revenus grâce aux pèlerins. Les nouvelles autorités syriennes, dominées par des factions sunnites, marginaliseront ou abandonneront probablement ces symboles du « soft power » chiite, à l’instar du déclin de l’Église catholique en Irlande, au XXe siècle, suite aux bouleversements politiques tels que l’indépendance de l’Irlande en 1922, la montée du nationalisme républicain et les tensions persistantes en Irlande du Nord.
Des projets d’infrastructure abandonnés
Les entreprises affiliées à l’appareil d’État de la RII ont massivement investi dans l’énergie et la reconstruction urbaine en Syrie. Ainsi, la Fondation pour le logement, affiliée au Guide suprême de la RII, a investi dans la reconstruction de la ville d’Alep, largement détruite par des bombardements de l’aviation syrienne, appuyée par des forces russes, pendant la guerre civile. L’entreprise de génie civil Khatam al-Anbiya Construction et l’Iran Marine Industrial Company (connue aussi sous le nom de Sadra), toutes deux affiliées au CGRI, ont supervisé la reconstruction de routes et de ports stratégiques. Il convient également de mentionner le projet malheureux d’un corridor gazier reliant l’Iran, l’Irak et la Syrie, destiné à connecter les ressources énergétiques iraniennes à la Méditerranée, qui a été interrompu dès 2022.
Avec l’émergence d’une nouvelle élite dirigeante en Syrie, certains projets précédemment signés avec la RII pourraient être réattribués à des consortiums rivaux, notamment turcs ou saoudiens, plus proches du nouveau pouvoir en Syrie. Ainsi, la RII pourrait subir des pertes similaires aux projets soviétiques en Afghanistan dans les années 1980, qui ont entraîné de lourdes conséquences économiques pour Moscou.
Un relais désormais inutilisable
La Syrie servait non seulement de marché pour les produits iraniens, mais également de plate-forme pour contourner les sanctions internationales. Par exemple, des entreprises syriennes jouaient le rôle d’intermédiaires dans l’exportation de produits iraniens vers le Liban ou certaines régions d’Europe de l’Est.
Avec la chute d’Assad, plusieurs accords commerciaux en cours entre Téhéran et Damas risquent d’être annulés ou profondément remaniés, au détriment des entreprises iraniennes. Pour la RII, les pertes ne se limiteraient pas aux exportations directes. La perte de la Syrie en tant que marché et plaque tournante compromet davantage la capacité commerciale de la RII, rendant les exportations plus difficiles et coûteuses, et exacerbant sa dépendance envers ses partenaires traditionnels comme la Chine. Là encore, un parallèle peut être fait avec la fin des accords commerciaux entre l’Union soviétique et la RDA après la chute du mur de Berlin. Cette situation illustre la fragilité des systèmes commerciaux dépendant de contextes politiques instables.
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L’étouffement d’un système bancaire déjà essoufflé
Le système bancaire de la RII a joué un rôle central dans le financement des projets syriens :
Bank Sepah, sous l’influence des Gardiens de la révolution islamique, a financé des projets énergétiques ;
Bank Melli, appartenant à l’État, a alloué 850 millions de dollars à des projets agricoles et industriels en Syrie ;
Bank Saderat, le bras de l’État pour ses opérations internationales au Moyen-Orient, a largement soutenu des projets transfrontaliers ;
Enfin, la Syrian-Iranian Joint Bank, fondée en 2010, a canalisé des financements pour des projets stratégiques.
Avec la chute du régime Assad, le remboursement de ces crédits devient incertain. Les principaux emprunteurs, tels que le ministère des transports, le ministère de l’énergie et de l’organisation générale de l’électricité, sont maintenant en difficulté de paiement et sous l’autorité d’un nouveau pouvoir qui pourrait suspendre ou renégocier ces engagements.
Cette situation aggrave la crise du système bancaire iranien, déjà affaibli par les sanctions internationales et par une gestion interne déficiente. Les pertes associées à ces prêts pourraient atteindre 3 % du PIB iranien. Un parallèle peut être tracé avec la crise de 1997 en Asie, où l’endettement excessif des États envers des entités étrangères a entraîné des chocs économiques majeurs.
L’avenir incertain des rapports syro-iraniens
Privée de ses investissements, de ses circuits commerciaux et de ses leviers d’influence culturelle, la RII se retrouve confrontée à une débâcle économique en Syrie et découvre les limites de sa stratégie idéologique expansionniste, coûteuse et inefficace. La seule issue viable, si on en croit l’expérience, notamment des pays de l’Europe de l’Est, au moment de la guerre froide, résiderait dans une transition vers une économie de marché et une coopération régionale accrue.
En établissant les bases d’un marché commun au Moyen-Orient, l’Iran et la Syrie pourraient transformer leurs défis en opportunités et ouvrir la voie à une ère de paix et de prospérité partagée pour toute la région. Cependant, la même expérience de la transition des pays socialistes de l’Europe de l’Est montre que, dans ces conditions, la transition et la stabilité politiques précèdent toujours la transition et la réussite économique.
Djamchid Assadi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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