La religion limite-t-elle le greenwashing en entreprise ?
La religion condamne scrupuleusement la manipulation et le mensonge. En entreprise, elle semble limiter le greenwashing à travers l’aversion au risque.
La religion condamne scrupuleusement la manipulation et le mensonge. La pratique du « greenwashing » des entreprises joue sur cette zone grise de divulgation d’information. Entre dimensions environnementales peu pertinentes et celles essentielles pour leur secteur d’activité. Étude de cas aux États-Unis, où il est possible de comptabiliser les adeptes religieux au niveau du comté.
En matière environnementale, les entreprises peuvent être tentées de choisir de divulguer des informations qui leur sont favorables, afin de renvoyer une image positive de leur action. Cette pratique est parfois qualifiée de greenwashing ou écoblanchiment.
Ainsi, une vingtaine de compagnies aériennes ont été rappelées à l’ordre le 30 avril dernier par la Commission européenne pour « allégations écologiques potentiellement trompeuses » envers les consommateurs. En cause : l’utilisation abusive de termes tels que carburants d’aviation durables, verts, ou responsable. Cette divulgation sélective d’information environnementale consiste à communiquer largement sur les actions environnementales positives tout en restreignant la divulgation des négatives.
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Dans une étude auprès de 600 entreprises américaines, nous montrons que celles situées dans des comtés — échelons administratifs entre un État et une municipalité aux États-Unis — à forte adhérence religieuse ont moins de probabilité de s’engager dans des pratiques de greenwashing. Afin d’investiguer le lien entre religion et greenwashing, nous avons croisé deux variables : celles de Religious Congregations Membership Study et de [bases de données Trucost]. La première recense le nombre d’adeptes religieux de toutes les confessions au sein du comté où se trouve le siège social d’une entreprise. La seconde les niveaux de divulgation sélective des informations environnementales des entreprises ayant leur siège social dans ces comtés.
Greenwashing, manipulation et mensonge
Au-delà de la surveillance du public, le rôle joué par les normes sociales promues par la pratique religieuse sur les stratégies de greenwashing pourrait s’avérer essentiel. Selon la théorie néo-institutionnelle, les dirigeants d’entreprises adoptent les normes sociales qui prévalent au sein des groupes avec lesquels ils interagissent ; et ce afin de maintenir la légitimité de leur entreprise. La religion pourrait donc modifier le comportement de ses dirigeants d’entreprise.
Deux normes sociales sont par exemple dénoncées de manière universelle par les principales religions : les comportements manipulateurs et le mensonge. Il a déjà été largement montré que les personnes pratiquantes acceptent moins les décision non éthique et adoptent en conséquence des comportements moins risqués. En mobilisant ces arguments, nous avons postulé que les deux normes sociales précitées – manipulation et mensonge – devraient avoir une influence négative sur le greenwashing. Il peut en effet être vu comme un comportement manipulateur, mais également risqué, car pouvant entraîner des réactions négatives de la part des parties-prenantes.
La religiosité a peu d’impact sur le greenwashing
Nous avons cherché à évaluer empiriquement l’impact de la religiosité sur les pratiques de divulgation sélective. Aux États-Unis, la religiosité est calculée comme le nombre d’adeptes religieux de toutes les confessions au sein du comté où se trouve le siège social d’une entreprise donnée, divisé par la population totale de ce comté.
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Pour mesurer les pratiques de greenwashing, nous avons calculé la différence entre un ratio de divulgation dit « absolu » et un ratio dit « pondéré ». Le premier mesure la part des indicateurs environnementaux pertinents publiés par l’entreprise. Le second prend en compte la justesse des différents indicateurs environnementaux publiés. Il y a greenwashing lorsque la différence entre les deux ratios est positive. Autrement dit, l’entreprise divulgue beaucoup d’information sur les dimensions environnementales peu pertinentes, mais se montre plus évasive sur les aspects environnementaux essentiels pour son secteur d’activité.
Peur du risque davantage que souhait d’honnêteté
Nos estimations montrent que la religiosité a une influence significativement négative sur les comportements de greenwashing. Ce lien est significatif pour la religion protestante et non catholique. Elle implique que l’aversion au risque, plus présente chez les pratiquants protestants, est un canal de transmission plutôt que l’honnêteté des dirigeants.
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L’influence négative de la religiosité sur les comportements de greenwashing peut s’expliquer par deux normes sociales différentes : l’honnêteté ou la peur du risque. Les entreprises dont le siège social est localisé dans un comté à forte religiosité devraient décrire le plus fidèlement possible leur impact environnemental. Or, nos résultats prouvent le contraire. La religiosité n’a pas d’impact significatif sur la divulgation d’information sur les dimensions environnementales peu pertinentes et celles essentielles pour leur secteur d’activité.
Moins vicieuses, mais pas plus vertueuses
L’influence négative de la religiosité sur les comportements de greenwashing peut en effet s’expliquer par deux normes sociales différentes : l’honnêteté ou la peur du risque. Si c’est la dimension honnêteté qui prévalait, les entreprises dont le siège social est localisé dans un comté à forte religiosité devraient généreusement divulguer des éléments clés de leur impact environnemental. Or, nos résultats prouvent le contraire. La religiosité n’a pas d’impact significatif sur la divulgation d’information concernant les dimensions environnementales pertinentes pour leur secteur d’activité.
Nous trouvons ainsi que la religiosité a une influence asymétrique : elle ne fait que limiter le comportement de greenwashing mais n’a pas d’impact sur la transparence – brownwashing. Ainsi, si une entreprise située dans un comté à forte adhérence religieuse fait moins greenwashing, elle ne va pas pour autant être plus vertueuse en matière de divulgation environnementale.
Cette étude a des implications managériales. Elle permet tout d’abord de mieux comprendre les déterminants des comportements de greenwashing, notamment du point de vue des investisseurs et des régulateurs. Au-delà de la religiosité, c’est bien l’aversion au risque qui explique l’adoption et l’intensité des comportements de divulgation d’information sur les dimensions environnementales. Ainsi, les dirigeants d’entreprises identifient bien l’adoption de ces comportements de greenwashing comme pouvant être source de risque pour la réputation de l’entreprise.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
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