François Bayrou, un Premier ministre qui s’inspire des philosophes

François Bayrou, un Premier ministre qui s’inspire des philosophes nfoiry lun 13/01/2025 - 17:00 En savoir plus sur François Bayrou, un Premier ministre qui s’inspire des philosophes Agrégé de lettres classiques, François Bayrou n’a cessé tout au long de sa carrière de se référer, dans ses livres comme dans ses discours, à des philosophes. De Montaigne et Pascal à la figure moins connue du penseur pacifiste et écologique Lanza dal Vasto en passant par Charles Péguy, « l’homme de [sa] vie », nous revenons sur ce que le nouveau Premier ministre retient de chacun d’eux. Elles composent un portrait intellectuel d’un politique en quête de tolérance mais aussi d’illuminations mystiques et créatrices. [CTA2]Montaigne : la richesse du pluralismeParmi les références philosophiques de François Bayrou vient d’abord Montaigne. Tous deux sont originaires du sud-ouest de la France. Mais la proximité géographique n’explique pas tout. Le maire de Pau se place dans le sillage de Montaigne « parce que [ce dernier] refuse d’être entraîné dans les sectarismes, dans la guerre des clans, et qu’il cultive la modération ». Le Premier ministre voit en Montaigne une préfiguration du centrisme qu’il défend. Il le relie à un mot d’ordre : « Nous pouvons vivre ensemble avec des idées différentes » – credo d’un pluralisme résolument libéral. Certes, ces notions modernes sont assurément un peu anachroniques pour parler de Montaigne, mais le principe qu’elles recouvrent n’en est pas moins important pour le philosophe très marqué par les guerres de religion qui ravagent la France de son temps. Pour Montaigne, nous pouvons vivre ensemble avec des religions différentes. Il faut accepter la « relativité des choses humaines ». Bayrou ose volontiers le parallèle : « On est en plein dans les guerres de religions », dit-il lorsqu’il évoque la situation française contemporaine. La problématique des guerres de religion est au cœur des réflexions du nouveau Premier ministre, qui a écrit abondamment sur Henri IV, protestant converti au catholicisme qui réconcilia, avec l’édit de Nantes de 1598 (« premier pas décisif dans l’histoire de la laïcité »), une France divisée. Montaigne, disparu en 1592, n’assistera pas à cette réconciliation. Mais il a rencontré plusieurs fois le futur roi de France avant son accession au trône. Il a notamment reçu le prince de Navarre dans son château, en 1584 et en 1587. En 1588, il est même chargé d’une mission diplomatique quasiment impossible : réconcilier le roi catholique Henri III avec son potentiel successeur. Devenu roi en 1589, Henri IV annonce dès le 4 août sa volonté de s’instruire sur le catholicisme. Montaigne correspond avec lui dans ses dernières années. Bref, Montaigne, pour Bayrou, c’est l’affirmation de la « richesse du pluralisme ». Pascal : la séparation des ordresÀ côté de Montaigne, Bayrou site souvent Pascal comme pionnier du centre. Chez le philosophe, le Premier ministre puise notamment l’« idée absolument géniale, révolutionnaire, unique : on ne peut pas tout soumettre […] à une autorité unique ». Il y a « trois ordres de réalité […] séparés » : « la religion a sa légitimité, la science a sa légitimité et la politique a sa légitimité ». Ce principe de « distinction des ordres », l’exigence que chacun se cantonne à ses affaires sans empiéter sur les autres, est pour Bayrou la clé pour « dépasser les antagonismes ». « On ne peut plus dire à Galilée : tu n’as pas le droit de dire que la Terre tourne autour du Soleil. » Bayrou poursuit : « L’être humain n’est plus soumis à une autorité totale, il retrouve sa liberté de penser, de croire, sa liberté civique. » “’Le principe de la démocratie, c’est la vertu’, disait Montesquieu. C’est aussi son avenir”François BayrouMontesquieu : la vertu démocratiqueGrand philosophe des Lumières, Montesquieu est, pour Bayrou, le troisième pionnier du centre, « parce qu’il sape les fondations du pouvoir absolu ». À ce pouvoir absolu, Montesquieu substitue un autre idéal : la séparation des pouvoirs qui garantit, entre eux, un équilibre. Montesquieu importe aussi pour Bayrou par sa compréhension de la démocratie qui repose, aux yeux du philosophe, sur la participation de citoyens vertueux, et en particulier sur les représentants qui se dégage du vote populaire. Au carriériste ambitieux, Bayrou oppose volontiers les figures probes et honnêtes qui ont le sens des responsabilités qui leur incombent : « On ne progresse vraiment que dans l’humilité. On n’est jamais obligé d’être déloyal. La vérité des êtres va prendre une dimension essentielle dans la vie politique. “Le principe de la démocratie, c’est la vertu”, disait Montesquieu. C’est aussi son avenir. » Charles Péguy : la politique et la mystiqueSocialiste libertaire devenu ardent patriote et chrétien fervent, Charles Péguy est, sans aucun doute, l’un des penseurs qui ont le plus marqué Bayrou : « Péguy est l’homme de ma vie ou, en tout cas, l’un des deux ou trois hommes ou femmes de ma vie intellec

Jan 14, 2025 - 10:43
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François Bayrou, un Premier ministre qui s’inspire des philosophes
François Bayrou, un Premier ministre qui s’inspire des philosophes nfoiry lun 13/01/2025 - 17:00

Agrégé de lettres classiques, François Bayrou n’a cessé tout au long de sa carrière de se référer, dans ses livres comme dans ses discours, à des philosophes. De Montaigne et Pascal à la figure moins connue du penseur pacifiste et écologique Lanza dal Vasto en passant par Charles Péguy, « l’homme de [sa] vie », nous revenons sur ce que le nouveau Premier ministre retient de chacun d’eux. Elles composent un portrait intellectuel d’un politique en quête de tolérance mais aussi d’illuminations mystiques et créatrices. 

[CTA2]


Montaigne : la richesse du pluralisme

Parmi les références philosophiques de François Bayrou vient d’abord Montaigne. Tous deux sont originaires du sud-ouest de la France. Mais la proximité géographique n’explique pas tout. Le maire de Pau se place dans le sillage de Montaigne « parce que [ce dernier] refuse d’être entraîné dans les sectarismes, dans la guerre des clans, et quil cultive la modération ». Le Premier ministre voit en Montaigne une préfiguration du centrisme qu’il défend. Il le relie à un mot d’ordre : « Nous pouvons vivre ensemble avec des idées différentes » – credo d’un pluralisme résolument libéral. Certes, ces notions modernes sont assurément un peu anachroniques pour parler de Montaigne, mais le principe qu’elles recouvrent n’en est pas moins important pour le philosophe très marqué par les guerres de religion qui ravagent la France de son temps. Pour Montaigne, nous pouvons vivre ensemble avec des religions différentes. Il faut accepter la « relativité des choses humaines ». Bayrou ose volontiers le parallèle : « On est en plein dans les guerres de religions », dit-il lorsqu’il évoque la situation française contemporaine. La problématique des guerres de religion est au cœur des réflexions du nouveau Premier ministre, qui a écrit abondamment sur Henri IV, protestant converti au catholicisme qui réconcilia, avec l’édit de Nantes de 1598 (« premier pas décisif dans l’histoire de la laïcité »), une France divisée. Montaigne, disparu en 1592, n’assistera pas à cette réconciliation. Mais il a rencontré plusieurs fois le futur roi de France avant son accession au trône. Il a notamment reçu le prince de Navarre dans son château, en 1584 et en 1587. En 1588, il est même chargé d’une mission diplomatique quasiment impossible : réconcilier le roi catholique Henri III avec son potentiel successeur. Devenu roi en 1589, Henri IV annonce dès le 4 août sa volonté de s’instruire sur le catholicisme. Montaigne correspond avec lui dans ses dernières années. Bref, Montaigne, pour Bayrou, c’est l’affirmation de la « richesse du pluralisme ».

 

Pascal : la séparation des ordres

À côté de Montaigne, Bayrou site souvent Pascal comme pionnier du centre. Chez le philosophe, le Premier ministre puise notamment l’« idée absolument géniale, révolutionnaire, unique : on ne peut pas tout soumettre […] à une autorité unique ». Il y a « trois ordres de réalité […] séparés » : « la religion a sa légitimité, la science a sa légitimité et la politique a sa légitimité ». Ce principe de « distinction des ordres », l’exigence que chacun se cantonne à ses affaires sans empiéter sur les autres, est pour Bayrou la clé pour « dépasser les antagonismes ». « On ne peut plus dire à Galilée : tu n’as pas le droit de dire que la Terre tourne autour du Soleil. » Bayrou poursuit : « L’être humain nest plus soumis à une autorité totale, il retrouve sa liberté de penser, de croire, sa liberté civique. »

 

“’Le principe de la démocratie, cest la vertu’, disait Montesquieu. C’est aussi son avenir”François Bayrou

Montesquieu : la vertu démocratique

Grand philosophe des Lumières, Montesquieu est, pour Bayrou, le troisième pionnier du centre, « parce quil sape les fondations du pouvoir absolu ». À ce pouvoir absolu, Montesquieu substitue un autre idéal : la séparation des pouvoirs qui garantit, entre eux, un équilibre. Montesquieu importe aussi pour Bayrou par sa compréhension de la démocratie qui repose, aux yeux du philosophe, sur la participation de citoyens vertueux, et en particulier sur les représentants qui se dégage du vote populaire. Au carriériste ambitieux, Bayrou oppose volontiers les figures probes et honnêtes qui ont le sens des responsabilités qui leur incombent : « On ne progresse vraiment que dans l’humilité. On nest jamais obligé d’être déloyal. La vérité des êtres va prendre une dimension essentielle dans la vie politique. “Le principe de la démocratie, cest la vertu”, disait Montesquieu. C’est aussi son avenir. »

 

Charles Péguy : la politique et la mystique

Socialiste libertaire devenu ardent patriote et chrétien fervent, Charles Péguy est, sans aucun doute, l’un des penseurs qui ont le plus marqué Bayrou : « Péguy est lhomme de ma vie ou, en tout cas, lun des deux ou trois hommes ou femmes de ma vie intellectuelle et même spirituelle. Il ma accompagné sans cesse. Il a été pour moi le compagnon […] le plus généreux et le plus drôle que jaie rencontré. » Bayrou admire la compréhension du « cœur » mise en avant par Péguy qui, à ses yeux, « défend l'idée qu'un esprit probe peut aller au cœur des choses. Qu'un esprit peut comprendre directement, sans truchement, un autre esprit ou une autre situation d'humanité. […] Péguy lance un gigantesque défi à la réalité en lui disant : je peux te comprendre ;  je peux comprendre l'univers, l'histoire, l'homme […]. Nul besoin d'avoir tout compulsé pour toucher le cœur du phénomène que j'étudie. C'est là une revendication d'optimisme et de confiance, sans mesure, dans l'esprit humain. » 

“Il n'y a pas d’œuvre historique pour ceux qui refusent la séparation entre mystique et politique”François Bayrou

En matière politique, Bayrou trouve chez Péguy une source pour approfondir la distinction des ordres pascalienne. Péguy, lui, défend surtout la séparation du politique et de ce qu’il appelle le « mystique ». La foi ne doit jamais se rabattre sur la politique sous peine d’une « dégradation » fatale, d’une dissolution. Cependant, pour Bayrou, cette séparation ne signifie pas l’absence de lien, au contraire : « Il faut que la mystique et la politique se fécondent l'une l'autre. Comme il n'existe pas de ruche sans reine, il ne peut y avoir d'action politique si, en son centre, il n'y a ni idéal ni vision. » Une carrière politique sans inspiration, sans idéal, est tout entière enfermée dans la « politique politicienne » qui ne crée rien. « Il n'y a pas d’œuvre historique pour ceux qui refusent la séparation entre mystique et politique » – pour ceux qui oblitèrent cette séparation en évacuant totalement la mystique (politiciens sans idéaux) ou en indexant toute la politique sur la mystique (fanatiques). L’écart, la séparation est féconde, créatrice. Il faut savoir se tenir sur ce chemin de crête. « Ce n'est pas le meilleur moyen de faire carrière mais c'est le meilleur moyen de faire histoire et, pour tout dire, de donner sa vie à quelque chose qui vaille la peine. »

 

Marc Sangnier : l’exigence démocratique

Beaucoup moins connu que les précédents, Marc Sangnier, philosophe, journaliste et homme politique français est aussi mentionné parmi les influences de François Bayrou, qui cite cette phrase de lui : « La démocratie est lorganisation sociale qui tend à porter au maximum la conscience et la responsabilité civiques de chacun » (L’Esprit démocratique, 1905). Pour Bayrou, « c'est un projet de société ! » On ne s’étonnera pas de cette référence : comme Bayrou, Sangnier est un chrétien-démocrate. Fondateur du Sillon (mouvement visant à rapprocher le catholicisme de la République, après des années de clivage souvent violent), il est même l’une des premières figures de l’idée de démocratie chrétienne. Si Sangnier est un « phare » pour Bayrou, c’est qu’il affirme que l’on « va plus loin […] si les citoyens sont pleinement conscients et sont pleinement responsables que si on leur impose une loi venue du sommet ». Pour le Premier ministre, « les gens qui passent leur temps à vouloir imposer leur loi sans considérer que les autres peuvent avoir leur part de vérité sont des nuisibles ». Cette posture entretient les clivages entre le peuple et une élite de politiciens professionnels. Il s’agirait au contraire de « dépasser les haines », ce qui n’est possible pour Bayrou sans reconnaître aux individus leur responsabilité. La démocratie est une exigence collective. 

 

Jacques Maritain : l’humanisme intégral

Une autre grande figure de la démocratie chrétienne inspire Bayrou : le philosophe et théologien Jacques Maritain. En 1999, Bayrou surprend les universités d’été des centristes : il inscrit le projet politique de l’UDF dans le sillage de l’idée d’« humanisme intégrale ». La formule pourrait passer inaperçue. Elle est en réalité très étroitement associée à Maritain, auteur d’Humanisme intégral. Problèmes temporels et spirituels d'une nouvelle chrétienté en 1936. Proche du personnalisme d’Emmanuel Mounier (une référence pour le Centre des démocrates sociaux dont Bayrou fut également président), Maritain écrit : « Non seulement l'état d'esprit démocratique vient de l'inspiration évangélique, mais il ne peut pas subsister sans elle. »

 

Henri Bergson : la rupture créative

À propos du penseur de la durée, Bayrou écrit : « Bergson, dans une page que j’aime beaucoup, explique de manière lumineuse que toute création est rupture, que c’est même à cette rupture que l’on reconnaît la création authentique. L’artiste qui entre dans une ère nouvelle de la beauté, de l’esthétique, de la pensée, est le premier à franchir le seuil. Il est donc forcément seul. […] Je regarde la création artistique et littéraire comme participant de premier rang à la société de création que la France doit devenir. Avec la même dignité, la même reconnaissance et le même soutien que méritent la création scientifique et la création d’entreprise. » (Projet d’espoir, 2007)

 

Lanza del Vasto : la non-violence

« Bachelier au lycée de Nay, [Bayrou] poursuit ses études à luniversité de Bordeaux. Il fréquente à cette période la Communauté de lArche, du poète et philosophe Lanza del Vasto. Convaincu par la pensée non violente, écologiste et protestataire de ce disciple de Gandhi, il exprime la volonté de devenir un “porte-parole des sans voix” et entame un parcours de bénévole associatif passionné, dont les moteurs sont l’épanouissement de l’être humain et lintérêt général. » C’est par ces mots que le site du Modem, dont François Bayrou fut le fondateur et dont il est aujourd’hui encore le président, résume les jeunes années du Premier ministre. 

“Qu'on fasse ton éloge, qu'on te crache à la face, tiens-toi droit et souris”Lanza del Vasto

Un peu oubliée, la figure de Giuseppe Lanza di Trabia-Branciforte, dit Lanza del Vasto, a marqué les années 1970. Écrivain, philosophe et poète, l’intellectuel professait le réveil spirituel, la simplicité de vie et la paix. « Qu'on fasse ton éloge, qu'on te crache à la face, tiens-toi droit et souris », affirmait-il dans une formule qui évoque autant Gandhi que le Christ. Enracinées dans le christianisme, les Communautés de l’Arche dont il fut l’initiateur accueilleront des publics beaucoup plus divers dans un désir de vie en harmonie avec les autres comme avec la terre. Bayrou raconte : « À l’Arche, il n’existait qu’un mode de décision, l’unanimité […]. Aussi m’est-il aisé de comprendre les écologistes. Les racines de leur mouvement boivent aux mêmes sources que celles de Lanza del Vasto », qui soutint d’ailleurs les paysans du Larzac en 1972. janvier 2025

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