Donald Trump et le Groenland, quand géopolitique et économie s’entremêlent

Les ambitions de Donald Trump pour le Groenland peuvent surprendre, mais les prétentions des États-Unis sur le « continent blanc » ne datent pas d’aujourd’hui. Et les raisons de s’y intéresser ne manquent pas.

Jan 21, 2025 - 17:39
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Donald Trump et le Groenland, quand géopolitique et économie s’entremêlent

Les ambitions de Donald Trump pour le Groenland peuvent surprendre, mais les prétentions des États-Unis sur le « continent blanc » ne datent pas d’aujourd'hui. Et les raisons de s’y intéresser ne manquent pas.


Le 22 décembre 2024, le président élu des États-Unis Donald Trump a écrit sur son réseau Truth Social :

« Pour des raisons de sécurité nationale et de liberté dans le monde, les États-Unis d’Amérique estiment que la propriété et le contrôle du Groenland sont une nécessité absolue. »

Lors de son premier mandat, en 2019, il avait déjà exprimé son intérêt pour cette région. Au-delà de l’attractivité du Groenland en matière de ressources naturelles, comment expliquer les prétentions renouvelées de Donald Trump ?

Le post original de Donald Trump

Truth Social, décembre 2024.

Une importance stratégique claire et affirmée

La présence militaire américaine au Groenland remonte à la Deuxième Guerre mondiale. La base de Thulé (1943) est devenue l’une des places les plus emblématiques de la présence américaine au Groenland, notamment durant la guerre froide. Ce site est devenu stratégique pour surveiller et défendre l’espace aérien contre d’éventuels missiles balistiques russes, potentiellement nucléaires. En outre, le passage du GIUK (Groenland-Islande-Royaume-Uni), entre l’Arctique et l’Atlantique, était (et reste encore aujourd’hui) une voie d’importance stratégique pour les sous-marins nucléaires russes.

L’importance militaire du Groenland se double désormais d’une importance économique et commerciale nouvelle, liée notamment au changement climatique et à la fonte des glaces. En effet, cette dynamique entraîne l’apparition de nouvelles routes maritimes plus courtes de l’Asie vers l’Europe et l’Amérique du Nord, ainsi que de nouvelles perspectives d’exploitation des ressources minérales et agricoles de la région.

Le Groenland : un eldorado minier ?

L’exploitation minière au Groenland a débuté au XIXe siècle avec l’extraction de cryolite, suivie par celle du charbon, du plomb, du zinc, de l’uranium, de l’or et de l’olivine. Après un siècle d’exploitation, la plupart des mines ont fermé et à ce jour, seules deux mines restent en activité, produisant des rubis, des saphirs et de l’anorthosite. Alors que les transitions énergétiques et numériques sont gourmandes en métaux, le Groenland pourrait bien jouer un rôle important dans la nouvelle géopolitique des métaux critiques.


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Depuis 2010, l’autonomie élargie permet au Groenland de gérer seul ses ressources. Des campagnes d’explorations ont été initiées principalement par des entreprises danoises, canadiennes, groenlandaises, australiennes et britanniques. Et des mesures incitatives, telles que des réductions fiscales et la simplification des licences, ont été instaurées pour attirer les investisseurs étrangers.

Figure 1 : Répartition, par pays d’origine, des entreprises responsables des activités de forages miniers exploratoires au Groenland depuis 1912 (en pourcentage de kilomètres forés)

Christiansen et al., 2024. Fourni par l'auteur

L’île est potentiellement riche en ressources (cuivre, graphite, ilménite, molybdène, fer, plomb, nickel, or et terres rares) mais le niveau des réserves reste approximatif. Un gisement d’ilménite – principal minerai du titane – devrait être exploité et des réserves de molybdène atteindraient 260 000 tonnes. Ce sont surtout les terres rares qui attirent l’attention. Ces éléments incontournables pour de nombreuses industries de pointe, les technologies bas carbone et le secteur du numérique sont qualifiés de vitamines de l’économie moderne.

Le Groenland possède des réserves évaluées par l’United States Geological Survey (USGS) à environ 1,5 million de tonnes, soit 1 % des réserves mondiales. Et deux projets en cours de développement (Kvanefjeld et Motzfeldt) pourraient à eux seuls multiplier par 8 le volume des réserves de terres rares du Groenland. Les réserves de l’île resteraient cependant derrière celles de la Chine (44 millions de tonnes), du Brésil et du Vietnam (21 millions), mais supplanteraient celles de la Russie (10 millions), de l’Australie (5,7 millions) ou des États-Unis (1,8 million).

Figure 2 : Évolution des forages exploratoires au Groenland par type de métal, 1950-2023

Les prétentions des différents blocs sur les ressources du Groenland

C’est donc sans surprise que les différents blocs géopolitiques cherchent à attirer le Groenland dans leur sphère d’influence, pour jouir de ses ressources. L’Europe est la première à avoir formalisé un accord avec le Groenland et l’île possèderait un potentiel inexploité pour 25 des 34 minéraux identifiés dans la liste officielle des matières premières critiques de l’UE en 2023. Pourtant, le Groenland ne pourra être un partenaire stratégique que si l’Europe réalise des investissements importants et rapidement.

Les récentes déclarations de Trump sur l’annexion – ou l’achat – du Groenland s’inscrivent pour leur part dans une longue tradition d’intérêts américains pour ce territoire danois. Les États-Unis ont jusqu’à présent bénéficié de l’atout stratégique militaire du Groenland sans avoir besoin de le posséder. Et on peut aussi penser que l’exploitation des ressources de son sous-sol peut se faire sans annexion. La position américaine pourrait être ainsi perçue comme un moyen d’affirmer que l’essentiel des futures concessions minières sur le territoire du Groenland devra être réservé aux États-Unis.

Arte, 2024.

Les prétentions américaines visent également à contrecarrer la suprématie chinoise sur le marché des terres rares et à éviter que le Groenland ne tombe dans la zone de contrôle russe ou chinoise. Depuis le milieu des années 2010, la Russie a accru ses efforts pour asseoir sa domination militaire dans l’Arctique. Elle a installé de nouvelles bases militaires, ou en a réhabilité d’anciennes.

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Par ailleurs, sa flotte de brise-glaces lui permet de suivre l’évolution des glaces, information primordiale pour la navigation commerciale à travers la route maritime du Nord. Cette route est au cœur du projet chinois de « Route de la Soie polaire », extension arctique annoncée en 2017 des Nouvelles Routes de la Soie. Elle a aussi essayé d’investir dans l’industrie minière au Groenland. Alors que Pékin représente 68 % de la production mondiale de terres rares en 2024, elle souhaite renforcer son poids grâce à de nouveaux investissements à l’étranger, notamment pour maintenir sa position dominante sur le marché.

Figure 3 : Groenland, un territoire stratégique en Arctique

Mais que veulent les Groenlandais ?

Depuis l’autonomie en 1979, le parti social-démocrate Siumut, plutôt favorable à l’exploitation minière et partisan d’une indépendance à petits pas, a dominé la vie politique. Cependant, le paysage a évolué lors des élections de 2021, avec l’arrivée au pouvoir du parti de gauche écologiste Inuit Ataqatigiit, pro-indépendance et très engagé dans la protection de l’environnement. Ce dernier a remporté l’élection en axant sa campagne sur l’annulation de projets miniers comme celui de Kvanefjeld (mine de terres rares et d’uranium). Le gouvernement nommé a également mis fin à l’exploration pétrolière en juillet 2021.

Si le gouvernement de ce territoire et une partie des Groenlandais perçoivent l’industrie minière comme un levier de croissance et d’emplois, et même pouvant permettre de se rapprocher d’une indépendance totale, une grande partie de la population, majoritairement inuite, n’est pas de cet avis. Ces enjeux se trouvent au cœur des prochaines élections locales prévues en avril 2025 et du possible référendum d’indépendance du Groenland, évoqué à demi-mot par le premier ministre, Mute B. Egede, lors de son allocution du 1er janvier.

Comme lors de son premier mandat, Donald Trump impose son tempo à l’actualité internationale. Alors que même le Kremlin a dénoncé la rhétorique « dramatique » du président élu, en Europe, seuls le Danemark, le Groenland, l’Allemagne et la France ont réagi en dénonçant notamment la menace sur la souveraineté européenne. Devant, l’ambition de Trump de diviser l’Europe d’un point de vue politique qui se double désormais d’une volonté de provoquer sa désintégration géographique, le silence de la Commission européenne est particulièrement étonnant.The Conversation

Emmanuel Hache est Adjoint Scientifique de la Direction Economie et Veille d'IFP Energies nouvelles, Economiste et prospectiviste, il est également chercheur associé au laboratoire Economix de l’université Paris Nanterre et directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Il a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR) pour le projet GENERATE (Géopolitique des énergies renouvelables et analyse prospective de la transition énergétique) entre 2018 et 2020 et pour le projet GET MORE H2 (Géopolitique de la Transition énergétique et Modélisation mondiale économique et sociale des technologies de production d’hydrogène) entre 2023 et 2027.

Candice Roche, Louis-Marie Malbec et Vincent d’Herbemont ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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