Série « Severance » : que disent les neurosciences de la procédure de dissociation ?
De vrais patients au cerveau scindé existent depuis les années 1940. Peut-on en déduire que la procédure de dissociation de la série « Severance » est vraisemblable ?
Severance, la série qui imagine une opération chirurgicale qui sépare littéralement vie privée et vie professionnelle, revient pour une deuxième saison. Si le concept de cette captivante œuvre de science-fiction peut paraître totalement irréaliste, elle aborde des aspects neuroscientifiques intéressants.
L’esprit humain peut-il vraiment être scindé en deux par une opération chirurgicale ?
Fait étonnant, des patients au « cerveau scindé » existent depuis les années 1940. Pour contrôler les symptômes de l’épilepsie, ces patients ont subi une intervention chirurgicale visant à séparer les hémisphères gauche et droit. Des opérations similaires sont encore pratiquées aujourd’hui.
Des recherches ultérieures sur ce type de chirurgie ont montré que les hémisphères séparés des patients au cerveau divisé pouvaient traiter l’information de manière indépendante. Cela soulève l’inconfortable possibilité que la procédure puisse créer deux consciences distinctes cohabitant dans le même cerveau.
Dans la première saison de Severance, le personnage de Helly R (incarnée par Britt Lower) connaît un conflit entre son « innie » (le côté de son esprit qui se souvient de sa vie professionnelle) et son « outie » (le côté en dehors du travail). De la même manière, il existe des preuves d’un conflit entre les deux hémisphères des vrais patients au cerveau divisé.
Lorsque l’on parle avec des patients au cerveau scindé, on communique généralement avec l’hémisphère gauche du cerveau, qui contrôle la parole. Cependant, certains patients peuvent communiquer avec leur hémisphère droit en écrivant, par exemple, ou en arrangeant des lettres de Scrabble.
On a demandé à un jeune patient quel métier il aimerait exercer plus tard. Son hémisphère gauche a choisi un emploi de bureau consistant à faire des dessins techniques. Son hémisphère droit, en revanche, a arrangé les lettres pour épeler « coureur automobile ».
Des patients au cerveau scindé ont également rapporté « syndrome de la main étrangère », où l’on a l’impression que l’une de leurs mains bouge de son propre chef. Ces observations suggèrent que deux « personnes » conscientes distinctes peuvent coexister dans un même cerveau et avoir des objectifs contradictoires.
Dans la série Severance, cependant, l’innie et l’outie ont tous deux accès à la parole. C’est un indicateur que cette « procédure de dissociation » fictive implique une séparation plus complexe des réseaux cérébraux.
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Un exemple de séparation complexe des fonctions a été décrit dans l’étude du cas clinique de Neil, en 1994. Neil était un adolescent avec un certain nombre de problèmes à la suite d’une tumeur de la glande pinéale. L’une de ces difficultés était une forme rare d’amnésie : Neil ne pouvait pas se souvenir de ce qu’il avait fait de sa journée ou rapporter ce qu’il avait appris à l’école. Il était également devenu incapable de lire, bien qu’il puisse écrire, et de nommer des objets, bien qu’il puisse les dessiner.
Étonnamment, Neil est parvenu à poursuivre ses études. Les chercheurs se sont intéressés à la manière dont il arrivait à faire ses devoirs alors qu’il ne se souvenait pas de ce qu’il apprenait.
Ils l’ont interrogé sur un roman qu’il étudiait à l’école, Rosie ou le goût du cidre de Laurie Lee. Lors d’une conversation à l’oral, Neil ne se souvenait de rien concernant le livre, pas même du titre. Mais lorsqu’un des chercheurs lui a demandé d’écrire tout ce dont il se souvenait à propos du livre, il a écrit « Rouge Geranium fenêtres cidre avec Rosie Dranium odeur de poivre humide [sic] et champignons » – des mots tous liés au roman. Neil ne sachant pas lire, il a dû demander au chercheur : « Qu’est-ce que j’ai écrit ? »
Neil a également été capable écrire d’autres souvenirs qui semblaient perdus, notamment sa rencontre avec un homme atteint de gangrène à l’hôpital. Pour chaque cas, il était inconscient de son propre souvenir jusqu’à ce qu’il l’écrive et qu’on le lui relise. Le cas de Neil est un exemple stupéfiant. Il laisse penser qu’avoir des souvenirs inaccessibles à notre propre conscience est possible.
Dans Severance, l’outie d’Irving (John Turturro) peut accéder aux souvenirs de l’environnement de travail de son innie par le biais de la peinture. Il peint les longs couloirs de l’étage où travaille son innie, bien qu’il n’en ait aucun souvenir conscient. Dans la série, la procédure de dissociation consiste peut-être à bloquer l’accès conscient à la mémoire de la même manière que cet accès a été bloqué chez Neil.
Le rôle de l’hippocampe
Quelles régions du cerveau pourraient être au cœur de la procédure de dissociation de la série télévisée ? La région la plus associée au souvenir des événements de la journée de travail est l’hippocampe. Fait intéressant, cette même région cérébrale prend également en charge la représentation de l’espace.
Le fait que la même structure neuronale permette à la fois de se souvenir qu’un nouveau collègue a rejoint votre équipe aujourd’hui et de représenter la disposition du bureau suggère que l’hippocampe pourrait être une bonne cible pour cette procédure fictive.
Dans Severance, le passage de l’état de innie à celui de outie se fait à la limite du bureau, c’est-à-dire aux portes de l’ascenseur. Cela rappelle « l’effet de la porte », le phénomène par lequel le passage d’une porte vous fait oublier quelque chose.
L’hippocampe segmente notre expérience en épisodes pour un rappel ultérieur. Le fait d’entrer dans un nouvel espace indique qu’un nouvel épisode a commencé, ce qui entraîne une augmentation de l’oubli des informations qui s’étendent sur ces épisodes. L’effet est toutefois subtil. Bien que vous puissiez parfois entrer dans la cuisine et oublier pourquoi vous y êtes entré, vous n’oubliez pas que vous avez des enfants, contrairement à l’effet dramatique provoqué par la procédure de séparation de la série.
Peut-être que, dans la série, l’intérêt de l’hippocampe pour les limites spatiales déclenche le passage entre innie et outie.
Malheureusement, l’idée que la procédure de dissociation de la série puisse impliquer une simple incision de l’hippocampe présente deux failles cruciales.
Premièrement, ce n’est pas seulement la mémoire épisodique et spatiale qui est dissociée dans Severance. Les travailleurs disposent d’un grand nombre de connaissances sémantiques (par exemple, des faits concernant Lumon, l’entreprise pour laquelle ils travaillent, et son fondateur) qui sont inaccessibles à leurs outies. Ils forment également des mémoires émotionnelles liées aux récompenses qu’ils reçoivent pour leur travail et aux punitions qu’ils reçoivent dans la salle de pause.
Ces formes de mémoire reposent sur bien plus que l’hippocampe, et l’hippocampe lui-même fait partie d’un réseau de mémoire épisodique à l’échelle du cerveau qui est activé lors de la récupération de la mémoire épisodique.
Le deuxième défaut est que la mémoire elle-même n’est pas un processus isolé. Elle est étroitement liée à la perception, à l’attention, au langage et à de nombreux autres processus. Le système de mémoire humaine est bien trop complexe pour être entièrement divisé en deux, mais comme le montre Severance, il est fascinant d’imaginer cette possibilité.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
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