Trump veut annexer le Groenland : un pari risqué et vain
La volonté de Donald Trump d’intégrer le Groenland aux États-Unis risque de saper l’OTAN et a fortiori d’affaiblir la position stratégique de Washington face à Moscou et Pékin.
Donald Trump a annoncé vouloir intégrer le Groenland au territoire étatsunien, sans exclure le recours à la force. Une idée fondée avant tout sur des préoccupations sécuritaires : il s’agit d’empêcher la Chine et la Russie d’accroître leur influence dans cette région stratégique. Il reste que l’acheter ne constitue pas une solution viable pour Washington.
Quand, en 2019, durant son premier mandat, Donald Trump a proposé pour la première fois que les États-Unis achètent le Groenland, l’idée avait été tournée en dérision et n’avait pas entraîné de retombées importantes, si ce n’est l’annulation d’une visite officielle au Danemark, auquel le territoire groenlandais est rattaché.
Six ans plus tard, la nouvelle « offre » de Trump pour la plus grande île du monde est de nouveau sur la table. Et elle a été exprimée de façon nettement plus véhémente. Dans un entretien, le 7 janvier dernier, le futur président n’a pas exclu de recourir à la force pour prendre le contrôle du Groenland.
Il a également dépêché son fils aîné et « plusieurs représentants » sur place, le 8 janvier, afin d’afficher ses intentions aux yeux du monde entier. Ce projet bénéficiant du soutien du milliardaire Elon Musk, l’aspect financier ne devrait pas poser de problème.
Trump n’est pas le premier homme politique américain à vouloir acheter le Groenland. La première tentative documentée d’acquisition de l’île par les États-Unis date de 1868, et la dernière proposition significative en date a été formulée par le gouvernement de Harry S. Truman en 1946. Les visées expansionnistes de Trump à l’égard de ce territoire s’inscrivent donc dans une tradition longue.
Indépendamment de ce contexte historique, la dernière initiative du président élu semble moins irrationnelle aujourd’hui qu’elle ne l’était en 2019. En effet, le Groenland est exceptionnellement riche en « minéraux critiques ». D’après le département américain de l’énergie, ces minéraux sont essentiels pour les « technologies qui produisent, transmettent, stockent et conservent l’énergie » et qui présentent « un risque élevé de rupture de la chaîne d’approvisionnement ».
Or selon un rapport publié en 2024 dans The Economist, les sols arctiques contiennent des gisements (connus) de 43 des 50 minéraux critiques listés.
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Ce dernier point est certainement une raison légitime pour Washington de se tourner vers le Groenland, étant donné que la Chine – un fournisseur clé de plusieurs « minéraux critiques » sur les marchés mondiaux – a augmenté les restrictions de ses exportations dans le cadre de la guerre commerciale qui l’oppose aux États-Unis. L’accès à de nouvelles ressources permettrait donc à Washington de sécuriser sa chaîne d’approvisionnement et de limiter l’influence chinoise en la matière.
Une zone hautement stratégique
La localisation du Groenland lui confère également une grande valeur stratégique aux yeux des États-Unis. Une base américaine, la Pituffik Space Base, y est d’ailleurs déjà implantée. Cette dernière joue un rôle essentiel pour la surveillance de l’espace et pour la défense antimissile américaine. Étendre cette base et ses activités permettrait aux États-Unis de renforcer leurs capacités de surveillance des mouvements navals russes dans l’océan Arctique et dans le nord de l’Atlantique.
De plus, la souveraineté américaine sur le Groenland, si l’accord envisagé par Trump se concrétise, empêcherait ses rivaux, la Chine en particulier, d’accéder à l’île – bien que cette perspective ne soit pas des plus préoccupantes, dans la mesure où le territoire groenlandais est dans le giron du Danemark qui est un membre de l’OTAN. Le pays scandinave a également maintenu l’île à flot sur le plan économique grâce à une subvention annuelle d’environ 500 millions de dollars (soit près de 485 millions d’euros).
Il faut néanmoins noter que le mouvement indépendantiste groenlandais ne cesse de croître, et pourrait ouvrir la porte à des investissements étrangers plus nombreux et moins réglementés. Dans un tel cas de figure, la Chine serait certainement en première ligne pour se saisir de cette opportunité.
À ces aspirations économiques concurrentes s’ajoutent le renforcement de la coopération de sécurité et de défense entre la Russie et la Chine, et l’agressivité de Moscou sur le plan militaire. De tels arguments semblent donner plus de crédibilité à la prétention d’acquérir le Groenland de Donald Trump. Il n’est en effet pas le seul à avoir tiré la sonnette d’alarme sur ce point : le Canada, le Danemark et la Norvège ont tous récemment signalé et condamné les présences russe et chinoise dans l’Arctique.
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Ainsi, le problème de « l’offre » formulée par le futur président américain n’est pas le fait qu’elle repose sur une lecture erronée de la réalité géopolitique dans laquelle le Groenland est imbriqué. Les influences croissantes de la Russie et de la Chine dans cette région constituent un véritable enjeu sécuritaire et représenteraient un risque réel pour les États-Unis si ces deux puissances rivales parvenaient à mettre les mains sur la zone.
Les lacunes du projet d’annexion de Trump et le risque d’un isolement
Le problème, donc, vient de la vision étriquée et nationaliste du principe America First (« l’Amérique d’abord ») sur lequel repose le plan promulgué par le futur locataire de la Maison Blanche. Sa volonté d’inclure le Groenland au territoire américain à tout prix, n’excluant pas la possibilité d’une hausse des droits de douane sur les exportations danoises (notamment les médicaments amaigrissants de Novo Nordisk) voire d’employer la force, est alarmante.
Sans surprise, le Groenland et le Danemark ont tous deux rejeté la nouvelle « offre » du président élu. Leurs alliés, dont la France et l’Allemagne, se sont empressés de condamner les propos de Donald Trump – sans que ces commentaires soient accompagnés d’actions concrètes.
Plutôt que de renforcer la sécurité des États-Unis, cette visée expansionniste l’affaiblit et sape, une fois de plus, l’alliance occidentale. Le risque d’affaiblir le cadre du traité de l’Atlantique nord (OTAN) – pilier de l’influence américaine sur la scène internationale – semble échapper à Donald Trump. Un problème plus fondamental encore se joue ici, dans la mesure où ses prétentions d’expansion territoriale, qui ne sont pas sans rappeler l’impérialisme du XIXe siècle, reflètent l’isolationnisme qu’il entend appliquer une fois au pouvoir. Intégrer le Groenland au territoire étatsunien permettrait probablement à Washington de maintenir à flot ses chaînes d’approvisionnement énergétique, tout en maintenant la Russie et la Chine à distance.
Au-delà de l’esbroufe à laquelle il a accoutumé les observateurs du monde entier, Trump prouve une nouvelle fois que son approche en matière de politique étrangère sera brutale. Donald Trump et son administration pensent que les États-Unis peuvent s’en tirer à bon compte, sans investir dans le renforcement de la coopération de sécurité avec le Danemark, ainsi qu’avec les autres alliés européens et membres de l’OTAN, afin de faire face à la Russie et à la Chine.
Dans cette nouvelle affaire, le risque de dégrader les relations de Washington avec ses plus proches alliés apparaît comme un pari risqué et vain. Aucune grande puissance dans l’histoire des relations internationales n’a pu faire cavalier seul indéfiniment : l’annexion du Groenland, quels qu’en soient les moyens, ne pourra pas faire déroger les États-Unis de cette réalité stratégique.
Stefan Wolff ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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