Je t'aime encore
Je t'aime encore nfoiry jeu 16/01/2025 - 18:00 En savoir plus sur Je t'aime encore « Cette semaine, j’ai fêté dix années de couple avec mon compagnon. À cette occasion, j’ai beaucoup pensé à cette phrase : “Je t’aime encore”, que j’aimerais explorer aujourd’hui.[CTA1]➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.Je souhaiterais plus précisément tenter de prendre la défense, de faire l’éloge de cette petite phrase : “Je t’aime encore.” Pourquoi ? Parce que le seul texte de philosophe que j’ai lu à ce sujet avait précisément pour but de la critiquer. Ou du moins d’en montrer les limites, voire le ridicule. C’est en tout cas comme ceci que j’ai interprété les Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, pourtant l’une de mes bibles quand il s’agit de lire sur l’amour et ses méandres. “Passé le premier aveu, ‘je t’aime’ ne veut plus rien dire ; il ne fait que reprendre d’une façon énigmatique, tant elle paraît vide, l’ancien message”, écrit le sémiologue. Autrement dit, la phrase “je t’aime” a, selon Barthes, une tendance à s’éroder. À devenir terne, voire à passer pour “le plus éculé des stéréotypes”. À l’entendre, il viendrait même affadir – voire pervertir – le tout premier “je t’aime”, celui de l’amour naissant.Je ne suis pas d’accord. J’estime au contraire que la répétition du “je t’aime”, le “je t’aime encore”, donc, est d’une très grande richesse, et qu’elle n’a rien de fade ni de mièvre. Voici les différents sens que j’ai pu distinguer (il y en a peut-être d’autres !) :“Je t’aime encore” veut d’abord dire “je t’aime toujours”, voire “je n’ai jamais cessé de t’aimer”. La formule indique une persistance dans le temps. Elle s’inscrit dans une continuité radicale, absolue – peut-être idyllique et mythifiée – avec le tout premier “je t’aime” issu de la déclaration initiale. Quand on dit “je t’aime encore” de cette manière, on veut presque dire “je t’aime comme au premier jour”. On entend également dans ce “je t’aime encore” une forme d’humilité, d’effacement de soi. Ce qui compte ici, c’est le “t’”. L’amant qui fait cette déclaration donne la priorité à l’autre. Il lui dit : “Toi, tu occupes encore toute ma vie.” Mon amour est de ton côté.Moins idéaliste mais tout aussi fort, “je t’aime encore” peut aussi signifier “je t’aime malgré tout”. Tel est le versant plus terre à terre, plus concret, de la formule. On entend ici “je t’aime même si” – … tu ne reconnais pas souvent tes erreurs. Et aussi “je t’aime en dépit de” – … nos disputes, nos désaccords et toutes les épreuves. Ce “je t’aime” est celui du dépassement, de la maturité. Mais si le couple est séparé, ou traverse une mauvaise passe, ce “je t’aime encore” peut sonner comme un aveu d’échec. Il veut dire “je t’aime encore, même si on est plus ensemble, même si on a rompu, même si tu m’as fait du mal”. Il est alors l’expression d’un regret ou en tout cas d’une douleur : celle d’aimer sans retour ou d’aimer d’un amour qui blesse.Le dernier sens de cette phrase – le plus beau selon moi – est celui qui veut dire “je t’aime énormément”, “je t’aime de plus en plus”. Il se distingue du premier et du second, car il n’est pas dans une recherche de persistance ni de permanence, mais de surenchère. Il s’agit de dire “je t’aime encore et encore”, dans une folle logique d’inflation, de crescendo. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, dans les chansons sur l’amour, la phrase “je t’aime encore” est scandée, comme une prière répétée à l’infini. Je pense à la chanson D’aventures en aventures, de Serge Lama, ou, plus récemment, à Dis-moi que tu m’aimes, de Zaho de Sagazan : “Je ne peux pas croire que tu m’aimes / Mais je t'en prie dis-le quand même / Dis-le encore, dis-le plus fort.”Vous remarquerez d’ailleurs que, quand la phrase “je t’aime encore” tourne en boucle dans une chanson, on finit par entendre “encore, je t’aime”. Toute la beauté de la formule réside alors dans cette inversion. Dire “je t’aime encore”, c’est dire je t’aime tout plein – plein de fois. Comme si un “je t’aime” en appelait immédiatement un autre, le contenait à l’intérieur.J’espère vous avoir convaincu que, contrairement à ce que dit Roland Barthes, “je t’aime encore” n’est pas une phrase creuse, mais qu’elle regorge de sens. J’enfoncerai le clou en insistant sur la générosité que contient cette formule, qui est du côté de la dépense, d’une forme d’excès, de grandeur. D’ailleurs, si Barthes s’en prend à ceux qui disent trop “je t’aime”, il critique vertement l’“avarice” de ceux qui ne le prononcent pas du tout : “Celui qui ne dit pas je-t-aime (entre les lèvres duquel je-t-aime ne veut pas passer) est condamné à émettre les signes multiples, incertains, douteurs, avares, de l’amour, ses indices, ses ‘preuves’.” À rebours de cette pingrerie amoureuse, celui qui ose dire son amour s’engage par le langage et accepte de se montrer vul
« Cette semaine, j’ai fêté dix années de couple avec mon compagnon. À cette occasion, j’ai beaucoup pensé à cette phrase : “Je t’aime encore”, que j’aimerais explorer aujourd’hui.
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➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.
Je souhaiterais plus précisément tenter de prendre la défense, de faire l’éloge de cette petite phrase : “Je t’aime encore.” Pourquoi ? Parce que le seul texte de philosophe que j’ai lu à ce sujet avait précisément pour but de la critiquer. Ou du moins d’en montrer les limites, voire le ridicule. C’est en tout cas comme ceci que j’ai interprété les Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, pourtant l’une de mes bibles quand il s’agit de lire sur l’amour et ses méandres. “Passé le premier aveu, ‘je t’aime’ ne veut plus rien dire ; il ne fait que reprendre d’une façon énigmatique, tant elle paraît vide, l’ancien message”, écrit le sémiologue. Autrement dit, la phrase “je t’aime” a, selon Barthes, une tendance à s’éroder. À devenir terne, voire à passer pour “le plus éculé des stéréotypes”. À l’entendre, il viendrait même affadir – voire pervertir – le tout premier “je t’aime”, celui de l’amour naissant.
Je ne suis pas d’accord. J’estime au contraire que la répétition du “je t’aime”, le “je t’aime encore”, donc, est d’une très grande richesse, et qu’elle n’a rien de fade ni de mièvre. Voici les différents sens que j’ai pu distinguer (il y en a peut-être d’autres !) :
- “Je t’aime encore” veut d’abord dire “je t’aime toujours”, voire “je n’ai jamais cessé de t’aimer”. La formule indique une persistance dans le temps. Elle s’inscrit dans une continuité radicale, absolue – peut-être idyllique et mythifiée – avec le tout premier “je t’aime” issu de la déclaration initiale. Quand on dit “je t’aime encore” de cette manière, on veut presque dire “je t’aime comme au premier jour”. On entend également dans ce “je t’aime encore” une forme d’humilité, d’effacement de soi. Ce qui compte ici, c’est le “t’”. L’amant qui fait cette déclaration donne la priorité à l’autre. Il lui dit : “Toi, tu occupes encore toute ma vie.” Mon amour est de ton côté.
- Moins idéaliste mais tout aussi fort, “je t’aime encore” peut aussi signifier “je t’aime malgré tout”. Tel est le versant plus terre à terre, plus concret, de la formule. On entend ici “je t’aime même si” – … tu ne reconnais pas souvent tes erreurs. Et aussi “je t’aime en dépit de” – … nos disputes, nos désaccords et toutes les épreuves. Ce “je t’aime” est celui du dépassement, de la maturité. Mais si le couple est séparé, ou traverse une mauvaise passe, ce “je t’aime encore” peut sonner comme un aveu d’échec. Il veut dire “je t’aime encore, même si on est plus ensemble, même si on a rompu, même si tu m’as fait du mal”. Il est alors l’expression d’un regret ou en tout cas d’une douleur : celle d’aimer sans retour ou d’aimer d’un amour qui blesse.
- Le dernier sens de cette phrase – le plus beau selon moi – est celui qui veut dire “je t’aime énormément”, “je t’aime de plus en plus”. Il se distingue du premier et du second, car il n’est pas dans une recherche de persistance ni de permanence, mais de surenchère. Il s’agit de dire “je t’aime encore et encore”, dans une folle logique d’inflation, de crescendo. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, dans les chansons sur l’amour, la phrase “je t’aime encore” est scandée, comme une prière répétée à l’infini. Je pense à la chanson D’aventures en aventures, de Serge Lama, ou, plus récemment, à Dis-moi que tu m’aimes, de Zaho de Sagazan : “Je ne peux pas croire que tu m’aimes / Mais je t'en prie dis-le quand même / Dis-le encore, dis-le plus fort.”
Vous remarquerez d’ailleurs que, quand la phrase “je t’aime encore” tourne en boucle dans une chanson, on finit par entendre “encore, je t’aime”. Toute la beauté de la formule réside alors dans cette inversion. Dire “je t’aime encore”, c’est dire je t’aime tout plein – plein de fois. Comme si un “je t’aime” en appelait immédiatement un autre, le contenait à l’intérieur.
J’espère vous avoir convaincu que, contrairement à ce que dit Roland Barthes, “je t’aime encore” n’est pas une phrase creuse, mais qu’elle regorge de sens. J’enfoncerai le clou en insistant sur la générosité que contient cette formule, qui est du côté de la dépense, d’une forme d’excès, de grandeur. D’ailleurs, si Barthes s’en prend à ceux qui disent trop “je t’aime”, il critique vertement l’“avarice” de ceux qui ne le prononcent pas du tout : “Celui qui ne dit pas je-t-aime (entre les lèvres duquel je-t-aime ne veut pas passer) est condamné à émettre les signes multiples, incertains, douteurs, avares, de l’amour, ses indices, ses ‘preuves’.” À rebours de cette pingrerie amoureuse, celui qui ose dire son amour s’engage par le langage et accepte de se montrer vulnérable. “Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre”, affirme Barthes. Je suis touchée par ceux qui arrivent à mettre l’amour en mots, au point d’en faire une seconde peau. J’aime ceux qui parviennent à dire je t’aime encore et encore je t’aime. » janvier 2025
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