Trump, un président du XIXe siècle ?
Trump, un président du XIXe siècle ? hschlegel sam 25/01/2025 - 14:00 En savoir plus sur Trump, un président du XIXe siècle ? Ce n’était pas arrivé depuis le XIXe siècle : depuis Grover Cleveland (1837-1908), Donald Trump est le premier président américain à exercer deux mandats non consécutifs. Anecdote, sans doute. Mais sous l’anecdote, en creusant un peu, quelques éléments invitent à considérer Trump comme un président du XIXe siècle.[CTA2] Ses grands modèles politiques viennent de cette époque : Andrew Jackson (en fonction de 1829 à 1837), dont Trump fit accrocher le portrait dans le Bureau ovale lors de son premier mandat, et William McKinley (1897-1901), qu’il cite régulièrement. Populisme jacksonienLa comparaison avec Jackson est souvent évoquée dans les médias. Comme Trump, Jackson se présentait comme un outsider, en marge d’une oligarchie politique qu’il jugeait corrompue. Il fut le premier président à ne pas appartenir à la génération des Pères fondateurs. Il « a défié une élite arrogante », résumait Trump. Et d’ajouter : « Cela vous semble familier ? » Agitateur caractériel, souvent attaqué pour ses tendances autoritaires, Jackson affirmera que l’élection lui a été volée en 1824, alors qu’il obtient la majorité des suffrages mais pas la majorité au Collège électoral qui désigne le président. Il a plus de succès en 1828, avec un slogan qui vise, comme Trump aujourd’hui, à capter le ressentiment des « petits Blancs », des citoyens ordinaires, des classes populaires paupérisées (majoritairement rurales à l’époque) contre les élites : « Votez pour Andrew Jackson qui sait se battre, pas pour John Quincy Adams qui sait écrire. » La campagne de 1828 fut l’une des plus délétères de l’histoire américaine. Elle fut rythmée par les mensonges et la calomnie. « Jackson et ses partisans répandaient des mensonges sur John Quincy Adams […] ; l’un d’eux, grotesque, était que, en tant qu’ambassadeur en Russie, Adams avait procuré une jeune fille américaine pour la satisfaction sexuelle du tsar », écrit l’historien Daniel Howe dans « The Nineteenth-Century Trump » (« Le Trump du XIXe siècle », 2017). Donald Trump est, entend-on souvent, l’incarnation très contemporaine d’une ère de post-vérité. Mais déjà au XIXe siècle, « pour Jackson, les événements passés pouvaient être remodelés » afin de servir ses intérêts. Élu, Jackson étendit le droit de vote à tous les hommes blancs de plus de 21 ans, brisant ainsi la domination de la vieille élite des propriétaires fonciers. À bien des égards, on peut le considérer comme un populiste. Peu familier de l’establishment politique, il eut du mal à pourvoir les postes de son administration avec un personnel compétent – comme Trump lors de son premier mandat. Andrew Jackson préférait en général s’appuyer sur un groupe informel de conseillers de confiance, le « kitchen cabinet », de même que Trump s’est beaucoup appuyé sur sa famille entre 2017 et 2021.Nationalisme racisteCe n’est pas le seul point commun entre Trump et Jackson. Tous deux ont fédéré les classes populaires blanches en attisant la haine raciste à l’égard de minorités ethniques. « Le nationalisme jacksonien était […] racial : un américanisme de l’homme blanc, excluant les Mexicains, les Indiens, les Noirs. » C’est notamment sous Jackson que furent adoptées les politiques parmi les plus radicales contre les Amérindiens. « Le projet de “déplacement des Indiens” de Jackson a été la première question de fond que son administration a abordée après son investiture en 1829. » Le racisme s’est un peu déplacé aujourd’hui, sous Trump. Les Amérindiens ne sont plus vraiment un enjeu au cœur de la politique américaine. En revanche, les musulmans sont pointés du doigt par les nationalistes blancs.Protectionnisme Il est encore un point de la politique de Jackson qui résonne avec celle de Trump : l’imposition d’importants droits de douane. Ce sera également le cas de McKinley (1843-1901), qui défendit une politique protectionniste. « Trump a exprimé sa préférence pour l’imposition de droits de douane généralisés, non seulement en tant qu’outil de politique économique, mais aussi en tant que source de revenus pour le gouvernement. Il ne cache pas son amour pour les droits de douane et son mépris pour les importations », écrit le politologue Paul Poast dans « Trump’s Foreign Policy Is Tailor-Made for a 19th-Century America » (« La politique étrangère de Trump, taillée sur mesure pour l’Amérique du XIXe siècle », 2025). Le nouveau président est explicite sur le sujet : « Dans les années 1890, notre pays était probablement le plus riche de tous les temps grâce à un système de droits de douane. » Cette valorisation du protectionnisme n’est pas sans rapport avec un aspect important de la politique américaine du XIXe siècle : l’isolationnisme, qui sous-tend le souci d’une auto-suffisance du pays par rapport au reste du monde. John Logan, vice-président en 1884, fera l’éloge de cette indépendance économique : « S’il exi
Ce n’était pas arrivé depuis le XIXe siècle : depuis Grover Cleveland (1837-1908), Donald Trump est le premier président américain à exercer deux mandats non consécutifs. Anecdote, sans doute. Mais sous l’anecdote, en creusant un peu, quelques éléments invitent à considérer Trump comme un président du XIXe siècle.
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Ses grands modèles politiques viennent de cette époque : Andrew Jackson (en fonction de 1829 à 1837), dont Trump fit accrocher le portrait dans le Bureau ovale lors de son premier mandat, et William McKinley (1897-1901), qu’il cite régulièrement.
Populisme jacksonien
La comparaison avec Jackson est souvent évoquée dans les médias. Comme Trump, Jackson se présentait comme un outsider, en marge d’une oligarchie politique qu’il jugeait corrompue. Il fut le premier président à ne pas appartenir à la génération des Pères fondateurs. Il « a défié une élite arrogante », résumait Trump. Et d’ajouter : « Cela vous semble familier ? » Agitateur caractériel, souvent attaqué pour ses tendances autoritaires, Jackson affirmera que l’élection lui a été volée en 1824, alors qu’il obtient la majorité des suffrages mais pas la majorité au Collège électoral qui désigne le président. Il a plus de succès en 1828, avec un slogan qui vise, comme Trump aujourd’hui, à capter le ressentiment des « petits Blancs », des citoyens ordinaires, des classes populaires paupérisées (majoritairement rurales à l’époque) contre les élites : « Votez pour Andrew Jackson qui sait se battre, pas pour John Quincy Adams qui sait écrire. » La campagne de 1828 fut l’une des plus délétères de l’histoire américaine. Elle fut rythmée par les mensonges et la calomnie. « Jackson et ses partisans répandaient des mensonges sur John Quincy Adams […] ; l’un d’eux, grotesque, était que, en tant qu’ambassadeur en Russie, Adams avait procuré une jeune fille américaine pour la satisfaction sexuelle du tsar », écrit l’historien Daniel Howe dans « The Nineteenth-Century Trump » (« Le Trump du XIXe siècle », 2017). Donald Trump est, entend-on souvent, l’incarnation très contemporaine d’une ère de post-vérité. Mais déjà au XIXe siècle, « pour Jackson, les événements passés pouvaient être remodelés » afin de servir ses intérêts. Élu, Jackson étendit le droit de vote à tous les hommes blancs de plus de 21 ans, brisant ainsi la domination de la vieille élite des propriétaires fonciers. À bien des égards, on peut le considérer comme un populiste. Peu familier de l’establishment politique, il eut du mal à pourvoir les postes de son administration avec un personnel compétent – comme Trump lors de son premier mandat. Andrew Jackson préférait en général s’appuyer sur un groupe informel de conseillers de confiance, le « kitchen cabinet », de même que Trump s’est beaucoup appuyé sur sa famille entre 2017 et 2021.
Nationalisme raciste
Ce n’est pas le seul point commun entre Trump et Jackson. Tous deux ont fédéré les classes populaires blanches en attisant la haine raciste à l’égard de minorités ethniques. « Le nationalisme jacksonien était […] racial : un américanisme de l’homme blanc, excluant les Mexicains, les Indiens, les Noirs. » C’est notamment sous Jackson que furent adoptées les politiques parmi les plus radicales contre les Amérindiens. « Le projet de “déplacement des Indiens” de Jackson a été la première question de fond que son administration a abordée après son investiture en 1829. » Le racisme s’est un peu déplacé aujourd’hui, sous Trump. Les Amérindiens ne sont plus vraiment un enjeu au cœur de la politique américaine. En revanche, les musulmans sont pointés du doigt par les nationalistes blancs.
Protectionnisme
Il est encore un point de la politique de Jackson qui résonne avec celle de Trump : l’imposition d’importants droits de douane. Ce sera également le cas de McKinley (1843-1901), qui défendit une politique protectionniste. « Trump a exprimé sa préférence pour l’imposition de droits de douane généralisés, non seulement en tant qu’outil de politique économique, mais aussi en tant que source de revenus pour le gouvernement. Il ne cache pas son amour pour les droits de douane et son mépris pour les importations », écrit le politologue Paul Poast dans « Trump’s Foreign Policy Is Tailor-Made for a 19th-Century America » (« La politique étrangère de Trump, taillée sur mesure pour l’Amérique du XIXe siècle », 2025). Le nouveau président est explicite sur le sujet : « Dans les années 1890, notre pays était probablement le plus riche de tous les temps grâce à un système de droits de douane. » Cette valorisation du protectionnisme n’est pas sans rapport avec un aspect important de la politique américaine du XIXe siècle : l’isolationnisme, qui sous-tend le souci d’une auto-suffisance du pays par rapport au reste du monde. John Logan, vice-président en 1884, fera l’éloge de cette indépendance économique : « S’il existe une nation sur terre qui pourrait […] construire un mur à chacune de ses frontières, interdire toute communication avec le monde entier et vivre de ses propres ressources et productions, cette nation, ce sont les États-Unis. » On est assez loin de l’image des États-Unis leader d’une mondialisation sans frontières.
Isolationnisme
Trump réaffirme, à intervalles réguliers, sa volonté d’en finir avec les politiques états-uniennes d’intervention à l’étranger. « Je partage également la frustration face à une politique étrangère qui a consacré trop de temps, d’énergie, d’argent et, surtout, de vies à essayer de reconstruire des pays à notre image au lieu de poursuivre nos intérêts en matière de sécurité avant toute autre considération. » Faire du business avec le reste du monde, oui, bien entendu ; s’impliquer politiquement, non. Paul Poast résume : « Trump ne veut pas que les États-Unis ne s’engagent pas dans le monde. […] Il veut que les États-Unis se retirent de l’activité consistant à façonner et à protéger le monde » au nom de grandes valeurs (la démocratie, la liberté, etc.). « En se détournant d’idées telles que […] la protection des droits de l’homme, Donald Trump rompt avec plusieurs décennies d’idées en matière de politique étrangère. » Mais il rejoint une rhétorique typique de l’isolationnisme américain. Au lendemain de la fondation des États-Unis, George Washington en donnait les grandes lignes : « La grande règle vis-à-vis des nations étrangères est, en étendant nos relations commerciales, de n’avoir avec elles qu’aussi peu de liens politiques qu’il est possible […] Notre véritable politique doit être d’éviter des alliances permanentes avec quelque partie que ce soit du monde étranger. » C’est la raison pour laquelle les États-Unis tarderont à s’engager dans la Première Guerre mondiale.
Doctrine Monroe, destinée manifeste, impérialisme
La politique étrangère états-unienne évolue cela dit au cours du XIXe siècle. Alors que l’Amérique du Sud se décolonise, le président James Monroe (1758-1831) énonce les principes de la doctrine qui portera son nom : le continent est la chasse gardée des États-Unis ; toute intervention européenne est une intrusion dans sa sphère « naturelle » d’influence, une menace potentielle à la sécurité nationale. L’Europe n’a pas à s’immiscer dans les affaires américaines, et inversement (d’où la volonté de Trump de cesser le soutien à l’Ukraine contre la Russie). La doctrine Monroe s’accompagne d’une forme d’impérialisme : sur le continent américain, les Etats-Unis n’hésitent pas à intervenir. Jackson rêvait d’annexer le Texas, alors territoire mexicain. La guerre américano-mexicaine de 1846-1848, qui se conclura par l’annexion du Texas, de la Californie, de l’Utah, du Nevada, du Colorado, du Wyoming, du Nouveau-Mexique et de l’Arizona. McKinley ne sera pas en reste en matière d’impérialisme continental, en dépit de ses hésitations initiales. Après la victoire américaine lors de la guerre hispano-américaine (1898), les États-Unis obtiennent notamment un protectorat sur Cuba. Les ambitions affichées de Trump dans l’« hémisphère occidental » – intégrer le Canada comme 51e État, annexer le Groenland, prendre possession du canal de Panama (contrôlé par les États-Unis jusqu’en 1999) – sont imprégnés de cette vision, qui n’est pas sans rapport avec l’idée de « destinée manifeste ». « C’est notre destinée manifeste de nous déployer sur le continent confié par la Providence pour le libre développement de notre grandissante multitude », écrit le journaliste John O’Sullivan en 1845. La portée de cette « destinée manifeste » a varié au cours de l’histoire. Elle a été réinterprétée de manière très extensive : comme une mission des États-Unis, chargés d’apporter leurs valeurs au monde entier. Ce n’est pas en ce sens que Donald Trump a mobilisé la notion dans son adresse inaugurale : la destinée manifeste des États-Unis consiste à « étendre son territoire », non seulement vers les pays voisins, mais « vers les étoiles », faisant référence au projet de Musk de planter un drapeau sur Mars.
Extractivisme fossile
Très tôt, les États-Unis prennent en marche le train de la révolution industrielle. La prospérité est au rendez-vous. Le pays connait un Gilded Age, une « période dorée » de 1865 à 1901. L’industrie tourne à plein régime, alimentée par des quantités toujours plus grandes de charbon. De 1865 à 1898, la production augmente de 800% (Paul Kennedy, The Rise and Fall of the Great Powers: Economic Change and Military Conflict from 1500 to 2000). Les mines se multiplient. Le pétrole viendra, au siècle suivant, s’ajouter à un mix énergétique largement fossile, bientôt complété par le nucléaire. Le réchauffement climatique changera la donne, poussant les États-Unis à développer des énergies plus propres. À la veille de son départ, Joe Biden a ainsi annoncé l’interdiction de tout nouveau forage pétrolier ou gazier offshore dans une immense zone maritime de plus de 2,5 millions de km2. « Il est clair pour moi que le potentiel relativement mineur en termes d’énergies fossiles des zones protégées ne justifie pas les risques pour l’environnement. » Trump n’a pas tardé à réagir, annonçant qu’il annulerait « immédiatement » l’interdiction. Le président, qui ne cache pas son scepticisme en matière de crise écologique, a aussi annoncé sa volonté de retirer les États-Unis des Accords de Paris. Pour répondre à « l’urgence énergétique », il entend au contraire encourager lors de son nouveau mandat les nouveaux forages, pour exploiter notamment le gaz de schiste. « Nous allons forer, forer, forer […] Nous aurons quelque chose qu’aucune autre nation […] n’aura jamais, à savoir la plus grande quantité de pétrole et de gaz. » Du charbon, il ne dit rien pour l’heure – alors qu’il avait promis, lors de son premier mandat, une relance importante du secteur (qui n’a pas eu lieu). Mais il est bien possible que les mines soient également au rendez-vous : non seulement pour le charbon, mais pour les minerais et les terres rares. L’extractivisme est d’ailleurs l’une des principales raisons de l’intérêt du nouveau président pour le Groenland, dont le riche sous-sol est presque entièrement inexploité. Bref, le monde fossile né au XIXe siècle connait une deuxième jeunesse avec Trump.
Contre le “Big Government”
C’est un leitmotiv récurrent chez Trump, typique de la Vieille Droite (Old Right) : l’administration gouvernementale est beaucoup trop grande et beaucoup trop coûteuse. Elle étouffe le pays et sape l’activité économique, elle dilapide des ressources pour engraisser une cohortes de fonctionnaires inutiles et parasites payés sur le dos des contribuables. C’est pour remédier à ce problème que Trump a placé Elon Musk (connu pour son travail de restructuration brutal des entreprises, Twitter en particulier) à la tête d’un département de l’efficacité gouvernementale. Daniel Howe résume : « Trump souhaite que le gouvernement fédéral se retire de nombre de ses activités, laissant pour l’essentiel l’éducation, la science, les soins de santé et la réglementation des entreprises à la charge des États. » Sans le dire explicitement, il aspire à revenir à une forme de gouvernement plus proche de ce que les États-Unis connaissaient au XIXe siècle. Comme l’écrit la politologue Julia Azari dans « Trump Is A 19th-Century President Facing 21st-Century Problems » (« Trump est un président du XIXe siècle confronté à des problèmes du XXIe », 2017), « la présidence a changé radicalement au cours du XXe siècle ; la présidence moderne est vaste, conçue pour relever les défis d’un gouvernement fédéral expansif et d’un monde interconnecté. […] Au XIXe siècle, la présidence était une fonction plus restreinte, dont le rôle politique était moins important. Les équipes des présidents n’avaient rien à voir avec les milliers d’employés qui composent aujourd’hui […] la “branche présidentielle”. » Jackson déjà réclamait un gouvernement « frugal », relève l’historien Daniel Feller dans sa notice « Andrew Jackson: Impact and Legacy » (« Andrew Jackson. Son impact, son héritage ») : « Il a considéré l’extinction de la dette nationale sous son administration comme un triomphe personnel. »
On le voit, à bien des égards, Donald Trump ressemble à un président du XIXe siècle. Non qu’il n’apporte, à cet héritage qu’il revendique volontiers en bon « républicain conservateur », sa patte propre, sa « modernité ». Mais le réinscrire dans cet horizon historique aide certainement à mieux comprendre le projet politique hybride qu’il porte, alors qu’il entre tout juste en fonction. janvier 2025