Le titre-restaurant deviendrait-il un titre alimentaire ?

Avantage social majeur en France, le titre-restaurant s’est ouvert aux produits alimentaires – œufs, riz ou beurre – en août 2022. Un dispositif prolongé le 23 janvier dernier.

Fév 3, 2025 - 19:01
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Le titre-restaurant deviendrait-il un titre alimentaire ?
Le titre-restaurant représente un marché de 9,4 milliards d’euros réparti entre une douzaine d’émetteurs spécialisés. RichardVillalon/Stockadobe

Depuis les années 1960, le titre-restaurant a su s’imposer comme un avantage social majeur en France. En 2022, la loi sur le pouvoir d’achat l’ouvre aux produits alimentaires – œufs, riz, etc. Un dispositif prolongé le 23 janvier dernier. Remettrait-il en cause le principe originel de pause repas du salarié, à laquelle participe financièrement l’employeur et l’État ?


Les titres-restaurant, tels que Ticket Restaurant, UpDéjeuner, Pluxee Restaurant, Resto Flash ou encore Swile, sont des avantages sociaux précieux en France. Ils permettent aux salariés de payer leurs repas dans les restaurants ou d’acheter des aliments immédiatement consommables. Dans un contexte d’inflation galopante, la loi dite « pouvoir d’achat » d’août 2022 étend leur usage aux produits alimentaires non directement consommables. Le 23 janvier dernier, le législateur prolonge le dispositif jusqu’au 31 décembre 2026.

Cette mesure répond à l’inflation, mais également à l’augmentation induite des repas « faits maison » et à l’essor du télétravail au sein des entreprises depuis le Covid. Environ 13 % des journées sont télétravaillées d’après Xerfi, soit cinq fois plus qu’en 2019. Les restaurateurs pourraient considérer que ce dispositif détourne les titres-restaurant de leur fonction première. Les gagnants de cette bataille législative sont les grandes et moyennes surfaces (GMS).


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Entre pouvoir d’achat, exonération d’impôt et périmètre d’application, les titres-restaurant sont devenus un véritable enjeu économique, social et politique qui mérite une réflexion approfondie dans les prochains mois.

Une success-story à l’origine anglaise

Le concept du titre-restaurant est né à Londres après la Seconde Guerre mondiale grâce au docteur Winchendron. Propriétaire d’une clinique, il avait passé un accord avec les restaurateurs du quartier pour que ses employés puissent utiliser les « bons-repas » qu’il émettait. En 1949, le gouvernement britannique approuva un texte réglementaire permettant aux entreprises de subventionner la nourriture de leur personnel.

En France, il a fallu attendre le début des années 1960 pour que le concept soit adopté avec la création de trois sociétés : « Chèque restaurant », « Ticket restaurant » et « Chèque coopératif pour la restauration (CCR) ». Georges Pompidou, alors premier ministre, dota le titre-restaurant d’un cadre législatif en 1967. Il conféra à ce dispositif le caractère d’un avantage social avec des exonérations fiscales et sociales. Avec ce nouveau statut officiel, le décollage du marché fut immédiat.

Un avantage social incontesté

Près de 60 ans plus tard, le titre-restaurant rime avec dynamisme et vitalité. Son utilisation est régie par la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR), organisme français de référence qui réunit tous les acteurs du marché.

Selon la CNTR, le titre-restaurant représente un marché de 9,4 milliards d’euros répartis entre une douzaine d’émetteurs spécialisés. Il a un rôle majeur dans le soutien à la restauration quotidienne des salariés, à l’économie locale et à l’emploi de 100 000 personnes dans les établissements affiliés. Par ailleurs, les exonérations fiscales et sociales du titre-restaurant sont compensées par des recettes significatives notamment liées aux 3 milliards d’euros par an de TVA. Le bénéfice net annuel pour l’État est ainsi estimé à 845 millions d’euros.


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Qu’il soit sous forme de carte, d’application mobile ou encore de chèque, le titre-restaurant est simple d’utilisation. Sa mise en place donne satisfaction aux entreprises en permettant une économie de place et d’argent. Aucun investissement particulier n’est nécessaire. Les titres-restaurant peuvent être proposés à des salariés, aux agents des administrations et collectivités publiques, mais aussi à des volontaires et des bénévoles.

Un soutien immédiat au pouvoir d’achat

Grâce à la diversité et à la richesse de son réseau de 230 000 établissements affiliés (restaurants, primeurs, métiers de bouche, supermarchés), le titre-restaurant permet à 5,4 millions de bénéficiaires de se restaurer librement à l’heure du repas. Aujourd’hui, selon Viavoice, 84 % de ses bénéficiaires considèrent que c’est un avantage social important à leurs yeux ; 78 % estiment qu’il est un élément important de leur rémunération.

L’intérêt pour ce dispositif réside notamment dans le soutien immédiat au pouvoir d’achat des salariés de façon quotidienne et visible. Pour l’employeur, sa participation est nette d’impôts et de taxes sur les salaires. Pour le salarié, le titre-restaurant représente un avantage social concret et motivant. Contrairement à une augmentation de salaire classique, il ne sera jamais intégré dans le montant brut. Les entreprises peuvent ainsi offrir à leurs employés jusqu’à 1 582 € en 2025 – soit 7,26 € de part patronale exonérée en 2025 multipliés par 218 jours travaillés.

Vers un titre alimentaire ou titre-caddie ?

Les parlementaires ont entendu les craintes des professionnels de la restauration en janvier 2025. Ils n’ont prolongé le dispositif d’élargissement à tous les produits alimentaires que de deux ans jusqu’au 31 décembre 2026. L’objectif ? Laisser au gouvernement le temps d’une refonte des titres-restaurant.

Cependant, cette loi pose la question de l’avenir du dispositif réglementaire du titre-restaurant. Et si le titre-restaurant devenait un titre alimentaire ou un titre-caddie ?

En effet, instituer de manière pérenne cet élargissement à tous les produits alimentaires pourrait remettre en cause l’essence même du dispositif. Son objectif social reste associé à la pause repas du salarié, à laquelle participent financièrement son employeur et l’État. Si le gouvernement décidait de supprimer ou de réduire les exonérations sociales et fiscales, ne pourrait-on pas voir syndicats et patronat main dans la main pour protéger cet avantage social si populaire ?

Titres de services, titres-restaurant, titres alimentaire, l’avenir de cet avantage social est ouvert…The Conversation

Pierre-Olivier Giffard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.