Le principe (d’in)certitude

Le principe (d’in)certitude hschlegel jeu 23/01/2025 - 15:46 En savoir plus sur Le principe (d’in)certitude « La première saison de Game of Thrones à Washington s’était achevée avec l’assaut du Capitole en 2021, la deuxième saison débute quatre ans plus tard avec les Noces pourpres de la fonction publique américaine. Sans oublier le projet Stargate de développement de l’IA. Et le pompon, comme souvent, c’est Elon Musk qui l’a attrapé en saluant, à sa manière, le succès du nouveau maître de l’Amérique.[CTA1]➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.J’ignore si le geste d’Elon Musk le 20 janvier à la tribune du Capitol One Arena, main sur le cœur puis tendue à 40 degrés de l’horizontale était, ou non, une référence implicite aux saluts nazis et fascistes plutôt qu’au (pseudo) salut impérial des péplums hollywoodiens. Musk s’en est défendu. Je sais en revanche (merci au site de Rolling Stone) que son geste – équivoque sans équivoque – a été vécu comme une bénédiction par la section de l’Ohio des Proud Boys dans une vidéo sur Telegram portant la mention Hail Trump. Il me semble que cette ambiguïté qui n’en est pas une est le reflet paroxystique du principe politique de la nouvelle administration Trump : no limits et jouer l’incertitude, par principe. Annexer le Canada, envahir le Groenland, contrôler le canal de Panama, attiser la haine en Cisjordanie, quitter l’Otan, balayer les accords de Paris, pacifier l’Ukraine au profit de la Russie ? Que va-t-il faire vraiment ? Incertitude, incertitude, incertitude.Trump est un showrunner, le scénariste en chef de sa nouvelle saison. Il n’aura ni les moyens ni (probablement) le pouvoir de réaliser le dixième de ce qu’il promet. Mais il impose un tempo. Certitude pour ses fans, incertitude pour les autres. “Le grand privilège des Américains est de pouvoir faire des fautes réparables”, note Tocqueville dans De la démocratie en Amérique. On saura dans quatre ans si ce diagnostic survit à cette deuxième mandature. Mais vu la rafale d’“executive orders” du nouveau président, il y a de l’irréversible, de l’irrévocable et de l’irréparable dans l’air, à commencer par ce qui touche aux demandeurs d’asile coincés à la frontière mexicaine. Et à peine a-t-on le temps de s’effarer de la grâce accordée aux plus violents des émeutiers du Capitole, qu’elle vient toucher Ross Ulbricht, nouvelle icône libertarienne et fondateur de The Silk Road, site connu sur le darknet comme un supermarché de la drogue dont il serait un important bénéficiaire. Sans parler du coup de massue porté aux organisations environnementales et à la lutte contre le réchauffement climatique. Mais dans cette litanie non exhaustive, j’accorde une mention spéciale au programme Stargate de développement de l’intelligence artificielle aux États-Unis. Pourquoi le baptiser ainsi ? Parce qu’il pointe vers le futur. Dans les années 80, Ronald Reagan avait défendu un projet de bouclier spatial (SDI) à 30 milliards de dollars (ironiquement) baptisé Star Wars (et qui a fait plouf). Aujourd’hui, Trump annonce 500 milliards de dollars pour ce projet Stargate dont nul ne sait, comme dirait David Hockney, s’il va faire a bigger splash, mais dont chacun se dit qu’il ne peut se permettre de ne pas en être. Dans 1984, un slogan du parti de Big Brother affirme que “celui qui contrôle le passé contrôle le futur ; celui qui contrôle le présent contrôle le passé”. Pour l’administration Trump et pour les milliardaires qui en font désormais partie, celui qui contrôle la représentation du futur, contrôle le présent. Stargate, la porte des étoiles, renvoie à cet espoir. Mais évidemment, le futur se contrefiche de nos projections. Demain est un autre jour. » janvier 2025

Jan 23, 2025 - 18:11
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Le principe (d’in)certitude
Le principe (d’in)certitude hschlegel jeu 23/01/2025 - 15:46

« La première saison de Game of Thrones à Washington s’était achevée avec l’assaut du Capitole en 2021, la deuxième saison débute quatre ans plus tard avec les Noces pourpres de la fonction publique américaine. Sans oublier le projet Stargate de développement de l’IA. Et le pompon, comme souvent, c’est Elon Musk qui l’a attrapé en saluant, à sa manière, le succès du nouveau maître de l’Amérique.

[CTA1]

Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.

J’ignore si le geste d’Elon Musk le 20 janvier à la tribune du Capitol One Arena, main sur le cœur puis tendue à 40 degrés de l’horizontale était, ou non, une référence implicite aux saluts nazis et fascistes plutôt qu’au (pseudo) salut impérial des péplums hollywoodiens. Musk s’en est défendu. Je sais en revanche (merci au site de Rolling Stone) que son geste – équivoque sans équivoque – a été vécu comme une bénédiction par la section de l’Ohio des Proud Boys dans une vidéo sur Telegram portant la mention Hail Trump. Il me semble que cette ambiguïté qui n’en est pas une est le reflet paroxystique du principe politique de la nouvelle administration Trump : no limits et jouer l’incertitude, par principe. Annexer le Canada, envahir le Groenland, contrôler le canal de Panama, attiser la haine en Cisjordanie, quitter l’Otan, balayer les accords de Paris, pacifier l’Ukraine au profit de la Russie ? Que va-t-il faire vraiment ? Incertitude, incertitude, incertitude.

Trump est un showrunner, le scénariste en chef de sa nouvelle saison. Il n’aura ni les moyens ni (probablement) le pouvoir de réaliser le dixième de ce qu’il promet. Mais il impose un tempo. Certitude pour ses fans, incertitude pour les autres. “Le grand privilège des Américains est de pouvoir faire des fautes réparables”, note Tocqueville dans De la démocratie en Amérique. On saura dans quatre ans si ce diagnostic survit à cette deuxième mandature. Mais vu la rafale d’“executive orders” du nouveau président, il y a de l’irréversible, de l’irrévocable et de l’irréparable dans l’air, à commencer par ce qui touche aux demandeurs d’asile coincés à la frontière mexicaine. Et à peine a-t-on le temps de s’effarer de la grâce accordée aux plus violents des émeutiers du Capitole, qu’elle vient toucher Ross Ulbricht, nouvelle icône libertarienne et fondateur de The Silk Road, site connu sur le darknet comme un supermarché de la drogue dont il serait un important bénéficiaire. Sans parler du coup de massue porté aux organisations environnementales et à la lutte contre le réchauffement climatique. Mais dans cette litanie non exhaustive, j’accorde une mention spéciale au programme Stargate de développement de l’intelligence artificielle aux États-Unis. Pourquoi le baptiser ainsi ? Parce qu’il pointe vers le futur. Dans les années 80, Ronald Reagan avait défendu un projet de bouclier spatial (SDI) à 30 milliards de dollars (ironiquement) baptisé Star Wars (et qui a fait plouf). Aujourd’hui, Trump annonce 500 milliards de dollars pour ce projet Stargate dont nul ne sait, comme dirait David Hockney, s’il va faire a bigger splash, mais dont chacun se dit qu’il ne peut se permettre de ne pas en être. Dans 1984, un slogan du parti de Big Brother affirme que “celui qui contrôle le passé contrôle le futur ; celui qui contrôle le présent contrôle le passé”. Pour l’administration Trump et pour les milliardaires qui en font désormais partie, celui qui contrôle la représentation du futur, contrôle le présent. Stargate, la porte des étoiles, renvoie à cet espoir. Mais évidemment, le futur se contrefiche de nos projections. Demain est un autre jour. » janvier 2025

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