Luxe : la fin des années folles, le temps de la ‘correction’

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Fév 3, 2025 - 18:31
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Luxe : la fin des années folles, le temps de la ‘correction’

Après des années de croissance insolente et déraisonnée, faisant fi de contextes économiques et géopolitiques complexes, le secteur du luxe fait aujourd’hui face à ce que d’aucuns appellent une crise ou sans doute plus justement, une “correction”. Pour prendre la mesure de la santé du marché, un regard vers son numéro 1 peut servir de boussole. Et LVMH ne va pas si mal. 

Alors que les analystes retenaient leur souffle, le groupe aux 75 marques réparties dans 6 secteurs d’activités (dont Vins & Spiritueux, Mode et Maroquinerie, ainsi que Parfums et Cosmétiques), a annoncé des résultats loin des prévisions alarmistes… et de la « solide performance » revendiquée par le groupe. La croissance organique augmente tout juste de 1%, et la marge opérationnelle recule de 14% (repassant sous la barre des 20 milliards d’euros). Une baisse à mettre au crédit de certains segments stratégiques, comme les Vins & Spiritueux à -8% (et une marge opérationnelle à -36%) qui ne fait que confirmer une baisse généralisée de la consommation d’alcool en France et dans le monde (source OMS) depuis plusieurs années. La mode et la maroquinerie (locomotive des Maisons) baissent à peine de 1% alors que le segment parfums et cosmétiques croit de 4% (l’effet lipstick ?). Pourtant, ces résultats, s’ils ne sont pas catastrophiques, en disent long sur les transformations et défis qui attendent le monde du luxe. 

Les années folles où l’ostentation était reine sont révolues, et de multiples facteurs expliquent cette contraction du luxe : 
– un ralentissement de la croissance du fait d’une diminution de la demande en Chine, marché crucial pour de nombreuses marques. Cette situation a conduit à une perte estimée de 50 millions de clients depuis 2022, notamment parmi la génération Z.
– des envies repensées par des consommateurs, particulièrement les plus jeunes, qui privilégient désormais des expériences premium plutôt que des biens matériels. La recherche des marques alignées sur leurs valeurs, particulièrement en matière de durabilité et d’authenticité, est privilégiée. 
– l’essor du marché de la seconde main avec des prix accessibles et une notion de durabilité. Les plateformes de revente remettent ainsi en question les notions traditionnelles d’exclusivité.
– un retour aux fondamentaux du luxe pour certaines marques comme Hermès, qui continuent de prospérer en restant fidèles à leurs valeurs fondamentales : l’accent est mis sur la discrétion, la qualité exceptionnelle et le savoir-faire artisanal. Cette approche contraste avec d’autres qui ont dilué leur image en poursuivant des tendances éphémères ou en multipliant les collaborations et les égéries/ambassadeurs (Dior de Charlize Theron à Rihanna et Rosalia, en passant par Lewis Hamilton et Louis Garrel ou Dua Lipa véritable passe-partout du luxe pour Versace, YSL Beauty et maintenant Chanel).

Le luxe se trouve à un tournant, nécessitant une adaptation stratégique pour répondre aux nouvelles attentes des consommateurs et aux défis économiques mondiaux. Le rapport Future 100 réalisé par l’agence VML plusieurs tendances de la catégorie Luxury font écho à ces bouleversements. Nous avons sélectionné trois tendances émergentes : un luxe plus fonctionnel et minimaliste (Lean Luxury), une montée du luxe accessible dans un quotidien contraint (Affordable Affluence), et une prise en compte des attentes des seniors dans la conception des produits et services (Age-Conscious Design), catégorie au plus fort pouvoir d’achat dans une société vieillissante. Lionel Gomez, chief strategy officer chez VML France, répond à nos questions sur ces trois tendances.

La tendance du Lean Luxury s’impose dans un contexte où même les plus fortunés deviennent plus sélectifs dans leurs dépenses. Loin de disparaître, le luxe se recentre sur l’essentiel et devient pragmatique : qualité, durabilité et praticité. À différencier du quiet luxury, une affirmation statutaire, reconnue de ceux qui savent, et confidentielle. 

Ce phénomène est particulièrement visible en Chine, où la jeune génération de consommateurs de luxe adopte un style plus discret et pragmatique. Exit les logos ostentatoires de leurs parents, place à des pièces épurées et intemporelles qui reflètent une forme d’élégance silencieuse. Cette mutation est en partie accélérée par les « régulations » du gouvernement chinois, qui sanctionnent désormais toute démonstration excessive de richesse sur les réseaux sociaux. Plusieurs comptes d’influenceurs chinois jugés « vulgaires ou inappropriés », trop ostentatoires en sommes, ont été bloqués.

Le lean luxury met en avant un luxe plus sobre et fonctionnel, particulièrement en Chine, où la Gen Z adopte une consommation plus réfléchie et moins ostentatoire. Cette tendance est-elle purement conjoncturelle, liée aux pressions économiques et politiques, ou traduit-elle une mutation plus profonde des valeurs du luxe à long terme ?

Lionel Gomez : Le « lean luxury » en Chine, porté par la Gen Z, n’est pas qu’une simple réaction conjoncturelle face au contexte économique et politique. Il incarne une transformation bien plus profonde des valeurs du luxe, une évolution que j’appelle « l’ascèse éclairée ».

La Gen Z chinoise, hyperconnectée et informée, est sensible aux enjeux environnementaux et sociaux. L’ostentation est perçue comme une forme de vulgarité, un manque de conscience. Le luxe se vit désormais de manière plus discrète, plus responsable. On privilégie la qualité, la durabilité, l’authenticité. Le luxe n’est plus un simple marqueur de statut social, mais un moyen d’exprimer sa personnalité, ses valeurs. On achète moins, mais mieux. On investit dans des pièces uniques, intemporelles, qui racontent une histoire.

L’expérience prime aussi  sur la possession. On préfère un voyage inoubliable à un sac à main hors de prix. On recherche l’émotion, le partage, la connexion. Le « lean luxury » est bien plus qu’une tendance passagère. Il dessine les contours d’un nouveau luxe, plus authentique, plus responsable, plus humain. Un luxe qui s’inscrit dans la durée. C’est une nouvelle façon de consommer, plus responsable, plus consciente, plus en phase avec les enjeux de notre époque.

Certaines maisons, comme Loro Piana et Brunello Cucinelli, réussissent à prospérer en misant sur l’authenticité et le savoir-faire. Comment les marques peuvent-elles équilibrer minimalisme et désirabilité sans basculer dans une forme de banalisation ?

L.G. : C’est une question cruciale pour les marques de luxe ! L’équilibre entre minimalisme et désirabilité est un art subtil. Comment éviter la banalisation ? En cultivant l’exceptionnel, bien sûr !

En cultivant ces différents aspects, les marques de luxe peuvent concilier minimalisme et désirabilité, sans tomber dans la banalité. L’exceptionnel se niche dans les détails, dans l’invisible, dans l’impalpable. C’est ce qui crée la magie du luxe.

Par exemples :
L’excellence des matières premières : Loro Piana en effet est réputée pour ses fibres exceptionnelles, comme le cachemire le plus fin du monde ou la laine vicuña. C’est cette quête de l’excellence qui crée la différence ;
Le savoir-faire artisanal : Comme Brunello Cucinelli perpétue la tradition du fait main italien. Chaque pièce est réalisée avec un soin méticuleux, un souci du détail qui la rend unique ;
L’intemporel : Le minimalisme ne signifie pas absence de style. Au contraire, il exige une grande maîtrise du design pour créer des pièces élégantes et intemporelles, qui transcendent les modes ;
Les XP clients personnalisées : Le luxe, c’est aussi une expérience. Un service sur-mesure, une attention particulière portée à chaque client, créent un sentiment de privilège, d’exclusivité ;
Le storytelling « authentique » : Chaque marque doit raconter son histoire, ses valeurs, son savoir-faire. Un storytelling authentique crée une connexion émotionnelle avec le client, renforce son attachement à la marque.

En parallèle, la pression économique pousse une partie des consommateurs à revoir leur budget, sans pour autant renoncer aux plaisirs du luxe. C’est ainsi qu’émerge la tendance Affordable Affluence qui illustre ce paradoxe : une volonté d’économiser au quotidien tout en s’accordant des petits plaisirs premium. Selon VML Intelligence, le coût de la vie reste la principale préoccupation des consommateurs, poussant 74 % des Européens et 76 % des Américains à se tourner vers les marques de distributeur pour leurs achats courants. 

Le retour de l’effet lipstick montre que les consommateurs arbitrent différemment leurs dépenses, économisant sur certains postes pour se permettre des petits plaisirs perçus comme luxueux. Comment les marques de luxe peuvent-elles répondre à cette demande sans dévaloriser leur image haut de gamme ?

L.G. : L’effet « lipstick » est un indicateur précieux pour les marques de luxe. Il montre que même en période de restriction budgétaire, le désir de luxe ne disparaît pas. Il se transforme. Les consommateurs économisent sur certains postes pour s’offrir des petits plaisirs, des « doses de luxe » accessibles qui leur permettent de rêver, de s’évader, de se faire plaisir en proposant par exemple des produits d’entrée de gamme, des éditions limitées, des expériences immersives/ personnalisées.

L’enjeu pour les marques de luxe est de répondre à cette demande sans diluer leur image, sans compromettre leur exclusivité. Le luxe se réinvente, il devient plus subtil, plus expérientiel, plus personnel. L’important est de créer de la valeur, de l’émotion, du désir. C’est ce qui fait la différence.

On observe une montée en gamme des produits du quotidien, comme les sodas ou les thés. Assiste-t-on à une redéfinition du luxe où l’expérience et l’image priment sur la rareté et le prix ?

L.G. : La montée en gamme de ces produits illustre une transformation majeure du luxe. On assiste à une démocratisation du premium, où l’expérience, l’image et les valeurs de la marque deviennent aussi importantes que la rareté et le prix. C’est ce que l’on peut appeller le « luxe du quotidien ».

Les consommateurs sont de plus en plus exigeants, même pour les produits du quotidien. Ils recherchent la qualité, le goût, l’authenticité. On ne consomme plus seulement pour satisfaire un besoin, mais pour exprimer ses valeurs, son identité. On privilégie les marques responsables, engagées, qui partagent nos convictions. 

L’expérience d’achat et de consommation devient tout aussi primordiale : un packaging soigné, un service personnalisé, une histoire captivante… Autant d’éléments qui transforment un produit banal en un petit luxe du quotidien. Les réseaux sociaux amplifient cette tendance en mettant en avant des produits et des marques qui soignent leur image et leur storytelling.

Exemples si besoin : 
Les smoothies à 19 $ d’Erewhon : Ces smoothies, vendus dans une chaîne d’épiceries de luxe à Los Angeles, sont devenus un symbole de statut social. Ce n’est pas tant le prix qui justifie leur succès, mais l’image de marque, l’expérience et la qualité des ingrédients ;
Les sodas prébiotiques Olipop et Poppi : Ces sodas, qui se positionnent sur le créneau de la santé et du bien-être, ont conquis un public large grâce à leur image trendy et leurs bénéfices fonctionnels ;
Le bubble tea HeyTea : Cette marque chinoise de bubble tea, qui a récemment ouvert une boutique à Londres en collaboration avec le English Royal Ballet & Opera, propose des boissons sophistiquées et créatives, qui transcendent l’image traditionnelle du bubble tea.

Enfin, le vieillissement de la population entraîne une reconfiguration du marché du luxe, donnant naissance à la tendance Age-Conscious Design. Les seniors d’aujourd’hui ne se contentent plus de produits fonctionnels dénués de style : ils aspirent à un design pensé pour eux, mais sans les stigmates du vieillissement. Avec 52 % de la richesse américaine concentrée entre les mains des baby-boomers, le marché du bien-vieillir haut de gamme explose. 

Le vieillissement est de plus en plus vu comme une aspiration, et le luxe s’adapte en proposant des produits et des environnements pensés pour les seniors (la fameuse silver economy), sans les stigmatiser. Cette approche peut-elle devenir un nouvel axe stratégique pour les marques de luxe, au même titre que le ciblage des Millennials ou de la Gen Z ?

L.G. : Le vieillissement, autrefois synonyme de déclin, est perçu par 62 % des plus de 80 ans comme une aspiration positive. Ce changement de mentalité, combiné au pouvoir d’achat des baby-boomers, représente une opportunité stratégique pour le luxe, comparable au marché des Millennials ou de la Gen Z. Pourtant, on observe souvent une focalisation des marques sur la jeunesse, négligeant ainsi un segment porteur. Au-delà de l’aspect commercial, cibler les seniors permet aux marques de luxe de véhiculer des valeurs d’inclusivité et de respect intergénérationnel. C’est une opportunité de redéfinir le luxe, non plus par l’âge, mais par la capacité à enrichir l’expérience de vie à chaque étape. Le « silver power » est une réalité !

Remsen, marque créée par les architectes new-yorkais Sam Zeif et Spencer Fried, illustre cette nouvelle approche du « age-conscious design ». En proposant des objets du quotidien alliant élégance et fonctionnalité – des porte-cartes aux piluliers design, en passant par des barres d’appui sophistiquées –, Remsen répond aux besoins des seniors sans compromis esthétique ni stigmatisation.


On a identifié 3 piliers essentiels pour réussir sur ce marché :
Adapter aux besoins : Mobilité, accessibilité… Penser aux spécificités des seniors ;
Soigner le design : Transcender la fonctionnalité par l’esthétique. Le luxe doit rester du luxe ;
Communiquer positivement : Célébrer l’expérience et la maturité.

Certains designers prônent une intégration discrète des besoins des seniors dans le design, évitant toute esthétique médicale ou fonctionnelle. Comment le luxe peut-il conjuguer inclusivité et exclusivité dans ce domaine ?

L.G. : C’est une excellente question qui soulève un défi majeur pour le luxe : comment créer des produits et des environnements inclusifs, adaptés aux besoins des seniors, sans compromettre l’esthétique, l’exclusivité et la désirabilité ? La discrétion est la clé. L’intégration subtile, invisible, est l’art du luxe inclusif.

Le luxe, c’est l’art du détail, du raffinement, de l’exception. Il ne s’agit pas d’afficher l’inclusivité, mais de la vivre, de la respirer. Le luxe inclusif, c’est l’art de créer des produits et des environnements qui répondent aux besoins de tous, sans distinction d’âge ou de capacité. C’est un luxe qui se vit au quotidien, un luxe qui fait du bien, un luxe qui a du sens. C’est le luxe de demain.

Qu’il s’agisse d’un luxe plus pragmatique et discret, d’une montée en gamme des plaisirs accessibles ou d’un design repensé pour une clientèle senior exigeante, les marques doivent s’adapter à ces nouvelles réalités. Plus que jamais, le luxe ne se définit plus uniquement par le prix, mais par sa pertinence et son habileté à s’intégrer dans un quotidien en quête de sens.

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