Le télétravail contre les collectifs de travail ?

Critiqué, le télétravail ne s’en est pas moins imposé, notamment depuis le confinement pendant la pandémie de Covid-19. Son impact sur les collectifs de travail reste cependant peu abordé dans les débats.

Jan 20, 2025 - 12:51
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Le télétravail contre les collectifs de travail ?

Le télétravail s’est rapidement développé ces dernières années, après l’enchaînement d’une grève des transports parisiens et de l’épidémie de Covid-19. Actuellement remis en cause, les débats se concentrent sur les avantages individuels ou sur l’impact sur l’entreprise. On oublie ainsi un peu vite que le télétravail a aussi transformé les relations dans les collectifs de travail. Décryptage de ses impacts.


Ces derniers mois, plusieurs grandes entreprises ont annoncé vouloir réduire, voire même mettre fin au télétravail, un mode d’organisation du travail, qui s’est considérablement développé pendant la période du Covid-19. Pourtant, de nombreuses enquêtes témoignent de l’engouement que suscite toujours ce mode de travail chez la majorité des personnes qui en bénéficient.

Dans les analyses dont il fait l’objet, l’accent est souvent mis sur ses dimensions individuelles (diminution des temps de trajet et donc de la fatigue, meilleure conciliation vie professionnelle/vie privée…). Comment expliquer alors ce qui peut apparaître comme un retour en arrière de la part de certaines entreprises ? Pour cela, nous proposons de déplacer la focale de l’individuel au collectif, en étudiant les effets du télétravail sur les équipes de travail et les relations professionnelles.

Des collectifs syndicaux face au télétravail

Le cadre légal du télétravail étant faible, les entreprises se sont dotées de chartes et d’accords de télétravail afin de le réglementer. Qu’il s’agisse de chartes unilatérales établies par les directions ou d’accords négociés par les instances paritaires, le télétravail est l’objet de débats et même de mobilisations dans les entreprises. Longtemps méfiantes à l’égard du télétravail, les organisations syndicales tout comme les directions d’entreprises organisent aujourd’hui le cadrage du télétravail dans les structures où il est mis en place.

Lorsque des négociations ont lieu, les organisations syndicales ont alors trois grands objectifs :

  • défendre l’accès de tous (égalité) au télétravail : éviter, autant que faire se peut, l’exclusion de certains métiers, statuts, etc.

  • réaliser l’équité face au télétravail : conditions d’accès, nombre de jours télétravaillés, etc.

  • défendre l’amélioration des conditions de (télé)travail : indemnité, matériel, etc.

Épuisement syndical

Cependant, en plus de ce rôle de négociation, les organisations syndicales doivent elles-mêmes organiser leurs propres pratiques de travail militant, dans un contexte d’usage du télétravail non seulement par les salariés qu’ils sont censés représenter et défendre mais aussi par les militants sur lesquels reposent ces tâches, eux-mêmes.

Nos enquêtes sur le télétravail dans des entreprises de services (banques, assurances, mutuelles, télécommunications) montrent que celui-ci est désormais une modalité normalisée de réalisation des pratiques syndicales. Il a néanmoins bouleversé l’exercice de certaines d’entre elles : réduction voire suppression des permanences syndicales ou encore difficultés à faire des distributions de tracts. Ces usages complexifient et alourdissent les charges de travail dans les organisations syndicales, qui plus est dans un contexte d’épuisement syndical.

Le télétravail pour pallier les nuisances du « flex office » ?

La pratique du télétravail n’est pas sans effet sur les façons de collaborer entre membres d’une même équipe de travail. Concernant l’atteinte individuelle des objectifs, nos enquêtes, comme d’autres, montrent que le télétravail n’a pas d’effet voire même améliore celle-ci. Pour autant, les configurations où une amélioration est observée concernent surtout des entreprises où le développement du télétravail vient compenser une dégradation des conditions de travail sur site, notamment due aux réaménagements en « flex office », ce qui conduit à l’augmentation de certaines nuisances (bruit ambiant, difficulté à trouver une place, interruptions fréquentes d’activités, etc.).

Concernant cette fois les collectifs eux-mêmes et les façons de collaborer dans une équipe, nous constatons que, lorsque les personnes exercent des activités de façon autonome dans leur propre équipe, alors le télétravail n’a pas d’effet voire leur permet d’améliorer l’exercice de leurs tâches. En revanche, lorsque les personnes exercent des tâches de façon moins autonomes, c’est-à-dire lorsqu’elles ont besoin d’autres personnes (en matière d’informations, d’expertises, de contributions techniques, de capital social…) alors le télétravail peut conduire à vivre certaines difficultés. Dans ce cas, deux grands enjeux se posent.

France Inter.

Les outils numériques sont-ils les bons ?

Le premier est le maintien d’un collectif par la mise en place et le respect de jours de coprésence sur site qui sont associés à la garantie de bénéficier d’espaces de travail adaptés sur le site. Le second est le recours à des outils numériques professionnels permettant (ou censés permettre) une pleine continuité des tâches et des échanges selon que le travail soit réalisé sur site ou en dehors de celui-ci.

Nos enquêtes montrent, par ailleurs, que les travailleurs d’une même équipe créent régulièrement des canaux d’échanges numériques se superposant ou prolongeant des outils professionnels. Ces actions participent, tant bien que mal, au maintien de sociabilités entre membres d’une même équipe, et contribuent à faire travailler de façon plus ou moins efficiente les collectifs, même sans co-présence ; il convient toutefois de noter que ces actions sont plus efficaces quand elles sont réalisées dans des collectifs composés de membres se connaissant déjà bien, ce qui pose la question de l’intégration des nouvelles recrues.


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Ces enjeux autour des collectifs de travail appellent alors à se pencher sur les façons dont le management peut être mis à l’épreuve selon les configurations des équipes.

Le management de collectifs en situation de télétravail

Les directions et managers travaillent au quotidien à organiser le (télé) travail et à procéder à des séries d’ajustements. Le fait que le télétravail ne soit pas un droit à proprement parler conduit à certains écarts entre ce que prévoient les textes l’encadrant (accords et chartes) et les interprétations dont ils sont les objets. Ces lectures et applications des textes nécessitent pour les managers de tenir un discours commun sur les façons dont peut être pratiqué le télétravail tout en ouvrant la possibilité d’adaptations ad hoc.


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Les pratiques ordinaires de management reposent sur l’organisation et le suivi par le manager des activités réalisées par les membres de l’équipe managée, ce qu’il fait en tant que maillon d’une hiérarchie supérieure. Dans le cas du télétravail, les managers de proximité sont confrontés à deux grandes difficultés qui ont contribué à alourdir la charge managériale.

Un contrôle non intrusif est-il possible ?

La première est le contrôle du télétravail : comment le faire à distance, sans pour autant être perçu comme intrusif ? L’obligation pour les collaborateurs d’être connectés en permanence, la multiplication des réunions d’équipe ou encore la demande de rapports écrits plus réguliers sont des solutions possibles, mais qui pour certaines requièrent un surcroît de travail et surtout une activité conséquente de coordination. La seconde difficulté est l’aménagement de leurs propres pratiques de travail, la nécessité de croiser régulièrement toutes les personnes managées pouvant notamment conduire à limiter leur propre pratique du télétravail.

Pour autant, lorsqu’ils disposent de marges de manœuvre concernant le télétravail, les managers peuvent user de certaines flexibilités participant à améliorer la cohésion des collectifs de travail. Par exemple, si un accord prévoit que le télétravail ne sera accessible qu’à partir de trois mois d’ancienneté, il arrive fréquemment que des managers accordent plutôt l’exercice du télétravail pour favoriser l’organisation de travail de l’ensemble d’une équipe dont tous les membres pratiquent le télétravail, puisque l’obligation d’être sur site peut (paradoxalement) participer à isoler un nouvel entrant.

Nos études sur les effets du télétravail mettent ainsi en avant une grande actualité des enjeux les concernant par rapport aux collectifs de travail tant dans leur maintien que dans leur renouvellement.The Conversation

Sophie Louey a reçu des financements de l'Agence d'Objectifs IRES-CFDT et de la Chaire Transformation des Organisations et du Travail Sciences Po Paris.

Cécile Thomé a reçu des financements de la Chaire Transformation des Organisations et du Travail de Sciences Po Paris.

La chaire dont le titulaire est Henri Bergeron a reçu des financements de la CNSA, de Orange, du Groupe VYV, du Minstère de la transformation et de la fonction publique et du Cabinet Turning Point

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