Le grand blond avec une chemise noire

Pour les médias et les partis de gouvernement, Jean-Marie Le Pen était le diable de la République. Son goût du scandale et ses fréquentations douteuses l'ont campé dans ce rôle. Pourtant, pendant soixante ans de vie politique, par son histoire personnelle, son verbe et sa culture, il a été la voix de la France périphérique. L’article Le grand blond avec une chemise noire est apparu en premier sur Causeur.

Fév 7, 2025 - 07:03
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Le grand blond avec une chemise noire

Pour les médias et les partis de gouvernement, Jean-Marie Le Pen était le diable de la République. Son goût du scandale et ses fréquentations douteuses l’ont campé dans ce rôle. Pourtant, pendant soixante ans de vie politique, par son histoire personnelle, son verbe et sa culture, il a été la voix de la France périphérique.


J’étais des manifs anti-Le Pen de 2002. Je me souviens encore de ma fille Clara dans sa poussette rouge. Dehors, la République en danger frémissait dans une kermesse multicolore. De la joie, de l’exaltation. Vivre l’Histoire en direct. On était un peu Lamartine en 1848. Ou Jules Vallès en 1870. Ce fut l’acmé du « barrage », du front républicain, du camp du Bien.

C’était une vague. Une immense vague qui déferlait sur la France. L’entre-deux-tours, le « fascisme à nos portes » et tout un immense barnum médiatico-psychologique. La menace du grand blond avec une chemise noire.

La quinzaine antifasciste originelle : manifestation contre Jean-Marie Le Pen, 22 avril 2002. © AP Photo/Patrick Gardin/SIPA

Antifascisme de théâtre

Tous nos copains étaient là. Je dirigeais Reporters sans frontières. Autant vous dire que l’« extrême droite » y comptait peu de sympathisants… Emmanuelle [Ménard, son épouse, NDLR] était responsable « Afrique et justice internationale » à la FIDH, la Fédération des ligues des droits de l’homme, pas vraiment un repère de « fachos » ! Nous avions voté au premier tour pour François Bayrou. Nous nous apprêtions à glisser un bulletin Chirac pour le second. Nous résistions !

Et pourtant, dans nos têtes, quelque chose clochait. Emmanuelle est d’une famille de droite. On ne se mélange pas aux « extrémistes ». Mais on est méfiant face à cette gauche donneuse de leçons. De mon côté, je tiquais à la lecture des éditos de Serge July dans Libé. Il dénonçait le fondateur du FN en des termes hallucinants. Sous des « unes » sinistres. Comme un parfum de lynchage… Je détestais. À trop lire nos gauchistes, j’aurais bien fini par avoir de la sympathie pour le patron du FN.

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Dans cet « antifascisme de théâtre », pour reprendre le mot de Jospin, le grand vaincu de 2002, les journalistes ne jouaient pas les seconds rôles. Il faut dire qu’entre Jean-Marie Le Pen et les médias, rien n’a jamais été simple. Soyons honnêtes. Le traitement journalistique de Jean-Marie Le Pen m’a toujours sidéré. Je me souviens d’une séance photo à Montretout, le fief de la famille Le Pen à Saint-Cloud, où le photographe envoyé par la revue Médias, que nous avions relancée avec Emmanuelle, voulait à tout prix faire une photo du patron du FN avec ses chiens en « contre-plongée ». Manière de montrer le patriarche sous un angle bien dégueulasse, bien fascistoïde, bien terrifiant. Pinochet en son domaine campagnard. Pour nous, ce fut non. Une lumière rouge clignotait dans nos têtes.

Bien après l’accession coup de tonnerre en finale de la présidentielle, nous sommes allés avec Emmanuelle au moins une fois par mois durant toute l’année 2012 le rencontrer chez lui. Bien sûr, Le Pen en sortait des vertes et des pas mûres. Il fallait s’accrocher. Nous avions un projet de bouquin, après notre Vive Le Pen !, un petit opuscule qui contait ses rapports avec la presse et qui avait fait tant polémique.

Notre livre n’est jamais sorti. Je me suis présenté aux municipales à Béziers, chez moi. J’avais d’autres chats à fouetter. Marine, qui suivait ça du coin de l’œil, était très inquiète. Elle savait que son père en disait trop, elle savait que papa moulinait dans les souvenirs pas toujours reluisants, pataugeait aussi dans le marécage des blagues insoutenables.

L’art du scandale

N’était-il que le fou de la République, l’homme qui, dans les cours d’Ancien Régime, pouvait tout dire sans risque aucun ? Je ne le crois pas. Jean-Marie Le Pen vient des profondeurs du pays, de sa province, de sa dureté. Il a connu, ado, l’occupation allemande. Il s’est engagé dans les guerres coloniales. Il a ferraillé à l’Assemblée avec Pierre Mendès France, il était le bras droit de Tixier-Vignancour, l’avocat pétainiste. Ses mots étaient déjà violents. Il a bourlingué, il a galéré avant son coup de chance financier des années 1970.

Il a roulé sa bosse bien plus que l’immense majorité de notre classe politique composée aujourd’hui d’hommes gris en costard cintré avec le petit Mac bien propre qui se déplie sur la table. Pendant soixante ans de vie politique, il a été le chantre et le héraut des contradictions françaises : dans les années 1950, c’est bien lui qui défend bec et ongles l’Algérie française et rêve… d’intégrer réellement 9 millions de musulmans en qui il voyait l’avenir de la Patrie !

Jean-Marie Le Pen, bière en main, au comptoir d’un bar parisien, mars 1996.

Mais Jean-Marie Le Pen, au-delà de tout, c’est aussi et surtout le verbe. Rugueux, âpre, le verbe qui sent le foin, qui sent l’homme primitif et les bas instincts, le verbe qui fouille nos entrailles et fait vibrer les âmes perdues. C’est le corps de garde qui prend d’assaut votre salon. C’est un physique de catcheur dans un monde de danseuses. Quand il passait à la télé, c’était le carton d’audience. Parce qu’on savait qu’une tranche de vie allait se dérouler sous nos yeux, façon Tontons flingueurs. C’était la raison de son succès : il bousculait l’ordre établi, il renversait la porcelaine dans le magasin.

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Et puis il y avait son côté sombre. Cette face cachée que l’ancien d’Algérie aimait escalader à mains nues. Les allusions monstrueuses, le « Durafour crématoire », le « point de détail », la « fournée ». Les amitiés lugubres avec d’authentiques collabos. La nausée.

L’ombre du nom Le Pen

La prise du pouvoir, avec ces mots d’épouvante, était impossible. Le chef du FN s’est alors complu dans ce rôle de diable de la Ve, sorte de croquemitaine bien utile aux partis de gouvernement.

Je pense que tout cela a coûté cher aux idées patriotes et à tous ceux qui souhaitaient que la France retrouve un peu d’ordre et stoppe la folie de l’immigration incontrôlée. Il a couvert d’opprobre le patriotisme. Il l’a sali avec ses saillies infâmes. Il a rendu honteuse la fierté d’être Français.

Même en 2024, l’héritage est lourd. Jordan Bardella, largement favori des législatives, a encore trébuché devant un improbable barrage composé des fous furieux de LFI, des écolos loufoques et d’une gauche complètement décrédibilisée.

L’ombre portée du nom Le Pen recouvre encore bien des braves gens qui n’en peuvent plus de subir l’insécurité et l’importation massive de populations étrangères. Le Pen s’est confondu avec le peuple interdit de la France périphérique. Aujourd’hui orphelin du menhir breton, pour le RN, les dés sont à nouveau jetés. Ils ne l’étaient pas avant. Bardella et les jeunes loups le savent.

Je n’ai jamais voté pour Jean-Marie Le Pen – pour sa fille, oui –, mais je ne l’ai jamais considéré comme un diable. Parce que c’était un Français fils de l’histoire de France. Avec son courage et ses immenses défauts, avec sa gouaille, sa culture, sa vulgarité et… ses sordides obsessions.

Vive Le Pen !

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