La marche et le sacré
Le nouveau livre de Sébastien de Courtois mêle marche, histoire et littérature. Marie-Hélène Verdier revient ce pèlerinage littéraire. L’article La marche et le sacré est apparu en premier sur Causeur.
Le nouveau livre de Sébastien de Courtois mêle marche, histoire et littérature. Marie-Hélène Verdier revient sur ce pèlerinage littéraire.
Marcher est le propre de l’homme
J’avais aimé Un thé à Istanbul, les Lettres du Bosphore, L’ami des beaux jours. Une fois de plus, j’ai été séduite par la plume de Sébastien de Courtois, dans son dernier livre, aussi dense que lumineux : La marche et le sacré. Si marcher est le propre de l’homme, et avoir un rapport au temps, à l’espace et à autrui, à vitesse humaine, c’est à un petit exercice spirituel que l’auteur nous convie pour faire « quelques pas vers l’éternité. »
Quand on lui a proposé de réfléchir à la rencontre entre le dépassement de soi par la marche et un au-delà peuplé de croyances et d’interdits, Sébastien De Courtois, écrivain et spécialiste des chrétiens d’Orient, a compris qu’il devait revenir sur ses voyages et « rendre compte de sa vocation de passeur d’histoire et de culture, par la marche et la littérature ».
La marche, on sait la définir. Le sacré, c’est plus difficile. On peut l’envisager en anthropologue, en historien des religions, en croyant, en poète. On peut dire aussi que le sacré, c’est un patrimoine. La plupart du temps, on le définit négativement : c’est ce qui reste quand on n’a plus « le religieux. » Ce qui vous manque et vers quoi on aspire… « Une sorte de transcendance animale, dit l’auteur, un peu comme d’aimer une personne disparue ».
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Le grand marcheur devant l’éternel qu’est Sébastien De Courtois le dit : s’il a voulu d’abord « partir », ce fut pour échapper à une vie sans relief ainsi qu’à la tyrannie des idées du débat politique. Alors, son goût pour « la marche » qui « dégage l’âme » – pour reprendre Rousseau–, s’est incarné dans son amour du Moyen-Orient et son intérêt pour le fait religieux. Après le défi lancé à lui-même d’aller, à pied, de Turquie, en Chine, sur la trace des nestoriens, la marche l’a conduit, au fil des années et des pays, toujours plus loin en lui-même et vers autrui. Alors, l’éternité a pris la forme de l’amitié, de la beauté, de la prière, de la grâce des rencontres, avec les amis, les anciens maîtres et, toujours, les habitants. À présent, vivant en Méditerranée aux « îles comme des planètes », Sébastien De Courtois écrit pour transmettre son enchantement des voyages– et donner une voix aux chrétiens d’Orient.
Entre histoire et littérature
Ses idées ? Marcher, « c’est marcher dans le temps et l’histoire ». La croix à l’horizon? Oui, mais pas comme une carte d’identité. Si un lieu incarne, à lui seul, l’idée du sacré qui préside au livre, c’est bien le Tur Abdin dont l’auteur parle comme d’une seconde patrie. Situé en Haute-Mésopotamie, en bordure du Tigre, le Tur Abdin est un des berceaux du christianisme de langue syriaque, un rameau de l’araméen des origines. Il ressemble à la Toscane et à la Provence, avec ses collines, ses murets de terre sèche, ses cyprès, ses oliviers et de pistachiers. C’est le pays de Siméon le Stylite qui correspondit avec sainte Geneviève. Là-bas, l’auteur dit avoir revécu les débuts du christianisme: cette formidable rencontre du monde sémitique et de la cité grecque. Et d’évoquer les monastères, celui de saint Gabriel, dont Sébastien De Courtois a restauré une mosaïque byzantine, les ermitages, les chants, les rituels, l’église Saint-Jacques. Plus loin, avec Mar Moussa, c’est un petit morceau de Syrie que l’auteur fait vivre, après la marche « sobre » (entendez… franciscaine, un tantinet écolo) vers cette antique forteresse du XIème siècle — sans que la plume de l’auteur dissimule le tragique des enlèvements ou des disparitions de certains de ses hôtes. Façon de faire réfléchir, peut-être, sur « la spiritualité islamo-chrétienne. »
On l’aura compris, notre marcheur est un citoyen du monde mais ancré dans un terroir. À présent, il vit dans cette île de Chypre à l’histoire complexe qui se rattache si étroitement à la France par les Lusignan, et se dit ambassadeur de « cette histoire mosaïque » que nous devons, dit-il, nous réapproprier. Ce livre serait-il, dit-il, non sans humour, « un manifeste politique : celui de la marche vers le sacré ? »
En tout cas, la clé de ce livre, qui n’est ni d’érudition ni reportage, c’est la littérature, « le pas de côté » chère à Hannah Arendt qui défend de toute idéologie: l’art du récit, l’évocation de l’histoire, un esprit bienveillant, la poésie des lieux. Ce n’est pas par hasard si l’auteur, qui est allé, il y a quelque temps, sur les pas d’Arthur Rimbaud, a mis en exergue une phrase d’Ernst Jünger « J’ai du mal à me représenter un jour sans lecture et je me demande souvent si je n’ai pas vécu, au fond, en lecteur… » Belle phrase à faire sienne en fermant ce petit livre, riche de paysages, de personnes et d’une foi personnelle – et qui fait du bien, en donnant à connaître ce Moyen-Orient chrétien avec lequel nous sommes liés, sous la plume d’un homme qui le connaît et qui l’aime.
110 pages.
La marche et le sacré. Quelques pas vers l'éternité
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