[Interview] : “Sapphic Lovers”, le recueil photo entre réalisme et romantisme de Léa Michaëlis 

Avec “Sapphic Lovers”, Léa Michaëlis est allée à la rencontre des couples lesbiens. À travers les générations, partout sur le territoire français, elle tire le portrait des amours lesbiennes et des combats d’une identité qui n’est pas qu’une étiquette militante. […]

Jan 26, 2025 - 20:51
 0
[Interview] : “Sapphic Lovers”, le recueil photo entre réalisme et romantisme de Léa Michaëlis 

Avec “Sapphic Lovers”, Léa Michaëlis est allée à la rencontre des couples lesbiens. À travers les générations, partout sur le territoire français, elle tire le portrait des amours lesbiennes et des combats d’une identité qui n’est pas qu’une étiquette militante.

Photographie tirée de "Sapphic Lovers" Portrait de deux femmes. Elles sont lovées dans le même pull bleu, et leurs visages sont proches. Le visage de l'une des deux est cachée derrière le profil de sa compagne. Elles se tiennent devant un rideau rouge.

Envie de glisser un peu plus de douceur sous le sapin ? Accompagnée par la LIG (Lesbiennes d’intérêt général, fonds de dotation féministe et lesbien), la photographe Léa Michaëlis est allée à la rencontre d’un peu plus de 40 couples pour tenter de dessiner le portrait des romances queer et lesbiennes des années 2020. 

Forte de son expérience auprès des colleuses, qui dénoncent depuis 5 ans, les féminicides et les violences sexistes et sexuelles, Léa Michaëlis s’est forgée un regard militant particulier. Mais dans “Sapphic Lovers” (Les Insolentes, 2024), l’aspect engagé est moins palpable. La priorité est donnée à l’intime, à l’écriture de la multitude des formes que prend l’amour que se portent les femmes qui aiment les femmes.

La photographe se lance donc cette fois dans une démarche toujours proche du photo-journalisme, mais avec une intention qui s’assimile plus à de l’archive. Entre témoignages et images, elle approche ces histoires d’amour, retranscrit leur intimité avec douceur. Jamais voyeuriste, “Sapphic Lovers” montre la diversité des amours lesbiens, loin des clichés, mais signe surtout une ode au romantisme, peu importe sa forme.

Beware : Qu’est-ce qui t’as donné envie d’inscrire “Sapphic Lovers” dans une démarche d’archives ?

Léa Michaëlis : En fait, je me suis plongée dans l’archive lesbiennes. Et je me suis rendu compte qu’on avait beaucoup de photographie en noir et blanc. Dans les archives queer, on a un grand nombre de photographies trouvées, sans noms, qu’on ne peut pas vraiment dater. Je pense notamment au livre “Ils s’aiment” (des collectionneurs américains Hugh Nini et Neal Treadwell, Ndlr). 

Je me suis dit que ça manquait d’archives contemporaines, d’actualité, avec les influences des années 2020, 2010, 2000. Je me suis donc clairement inspirée de cette démarche, mais en choisissant de ne faire que de la couleur, et sans me limiter au portrait. 

Parmi les portraits, tu glisses aussi des natures mortes. Comment fais-tu le lien entre les deux ?   

Au début, ce n’était pas prévu. Mais rapidement, en allant chez les gens —ce qui était important pour moi, parce que ça dit quelque chose de particulier, cet intérieur chez les couples— certains m’ont montré des objets en lien avec certaines anecdotes. Je trouvais ça bien d’ajouter ces choses qui racontent le couple, qui symbolisent leur relation. 

Photographie tirée de "Sapphic Lovers" Nature morte d'une boule à neige remplie de petits cœurs rouges et d'une photo en noir et blanc d'un couple qui s'embrasse.

Parmi ces couples, il y a aussi le tien. C’était important de montrer que tu es concernée ? 

Je pense que si je n’étais pas concernée, je n’aurais pas fait ce projet-là, tout simplement. Il y a une question de regard, de point de vue,… Je pense aussi que les personnes ne m’auraient pas dévoilé les mêmes choses. Mais l’idée m’est venu de ma relation, qui a été une révélation dans ma vie personnelle et intime. Je me suis demandée comment ça se passait chez les autres.

D’ailleurs, tu racontes aussi comment ta relation a déclenché, chez toi, une soif de recherche historique sur la communauté LGBTQIA+ 

J’avais besoin de me confirmer que c’était normal et légitime, cette grande révélation. J’ai lu des essais, mais j’ai rapidement laissé tomber. Je voulais aller voir les gens, les écouter parler à leur manière, avec leur façon de voir le monde. 

Je tenais aussi à sortir du microcosme militant. C’est important pour moi, mais je voulais rencontrer des personnes qui me diraient : “Je suis gay, je ne suis pas lesbienne“, par exemple. Je me suis laissé porter par les rencontres, par les entretiens. 

Il y a aussi souvent cette question de l’identification au mot “lesbienne” en particulier ? 

Je tenais à avoir un regard dessus, à savoir comment les personnes s’identifient. L’idée n’était pas de fermer la porte aux personnes qui ne se sentent pas strictement lesbiennes. C’est une étiquette particulière. Certaines des personnes que j’ai rencontrées se disaient lesbiennes avant d’être femmes, d’autres qui me disaient : “C’est ma relation, mais c’est privé, ça ne fait pas tant que ça mon identité.”

Et il y a aussi l’idée que le mot renvoie à des traumatismes, à des insultes homophobes, à une culture qui sexualisait parfois, rejetait ou caricaturait le lesbianisme. Et puis j’ai rencontré des personnes qui ont pu sublimer le mot en se plongeant dans la culture, en lisant Sapho ou aussi Alice Coffin, ou grâce à des films comme “Carol”. Il y a des rapports hyper différents à ce terme. La question, c’est de savoir si notre génération arrivera à ne plus du tout être dégoûtée par ce mot grâce à tout ce travail. 

Photographie tirée de "Sapphic Lovers" Gros plan sur les bas d'un couple qui se tient la main. On peut voir sur le bras de la première une citation signée d'Alice Coffin : "Mon sauvetage, ma libération, mon émancipation, mon allégresse et mon extase : je suis lesbienne." La seconde porte un drapeau bleu, rose et blanc ainsi que le signe symbolisant la transidentité.

Pourtant, tu as privilégié le mot “Sapphic”, en anglais, dans le titre de ton ouvrage. 

Je suis partie de ma relation, qui est une relation qui peut être identifiée de l’extérieur comme une relation lesbienne. Mais la personne que j’aime est non binaire, donc ma relation n’est pas une relation lesbienne. Et je tenais à pouvoir inclure des personnes non-binaires, des personnes bisexuelles aussi qui sont dans des relations perçues lesbiennes. Le mot “Saphique” était donc pour moi une évidence. 

L’écrire en anglais, avec “Sapphic Lovers” m’a aussi permis de ne pas avoir à faire l’accord de l’écriture inclusive pour le mot “amantes”, pour plus de lisibilité. Ça m’a semblé plus fluide. Mais comme on ne peut pas nier que j’ai surtout rencontré des lesbiennes, j’ai choisi le sous-titre “et autres histoires d’amours lesbiennes”, pour bien englober tout le monde. *rires* 

D’ailleurs, les témoignages glissent parfois du couple à une forme de communauté qui le dépasse. 

Ce qui m’intéresse, c’est vraiment comment les personnes sont tombées amoureuses, dans quels espaces. Et ça, ça raconte une histoire de la communauté queer, des personnes queer. Il y a aussi beaucoup de gens qui disent qu’ils se sont rencontrés par un intermédiaire déjà intégré à la communauté. C’est une famille qui est choisie. Et puis d’autres, parfois plus âgées, qui n’y sont pas du tout et que ça ne rend pas malheureuse. Il y a peut-être une question de génération, de degré de militantisme. C’est très personnel. 

C’est comme l’idée de “faire famille”, qui parfois passe par l’adoption d’animaux. C’est quelque chose de très récurrent dans mes entretiens. Pour moi, ça permet d’expliquer ce lien très fort entre les personnes queer et leurs animaux, qu’elles considèrent parfois comme leurs enfants.

La question de l’accès à la maternité est aussi abordée dans “Sapphic Lovers”.

Pour écouter ces témoignages-là, il faut avoir une grande patience d’écoute. Ils sont souvent très longs. On est confronté au fait que ça semble facile publiquement, politiquement. Les lois sont passées très récemment. Mais en réalité, les démarches sont particulièrement longues. Il y a des couples qui racontent que quand ils reçoivent enfin les résultats d’analyses données, il faut parfois tout recommencer à zéro, parce qu’entre-temps, ils ont pu évoluer. C’est le serpent qui se mord la queue. 

Par exemple, j’ai rencontré Cassandre et Zoé début 2023. Là, on est fin 2024, j’ai discuté avec elle et elles en sont toujours au même point ! Elles se demandent si elles pourront, un jour, avoir un enfant. Après, d’autres personnes construisent très bien leur famille sans enfant. Mais ces questions, elles sont forcément politiques. 

[Interview] : "Sapphic Lovers", le recueil photo entre réalisme et romantisme de Léa Michaëlis  1

Il y a d’ailleurs cette balance entre une identité lesbienne qui semble militante par défaut et un désir d’aspirer à la norme. 

C’est très divisé. J’ai eu des témoignages de personnes qui ont été très militantes, et qui, par fatigue émotionnelle et physique, aspirent désormais à la norme, à l’invisibilisation, à la normalisation. D’autres portent ça comme un drapeau, être lesbienne fait partie de leur identité. Et d’autres encore se sentent déjà pleinement dans la norme. C’est pour ça que c’était important pour moi que ce livre ne soit pas étiqueté militant. Pour ne pas oublier que ces personnes non-militantes font aussi partie de notre communauté. 

Est-ce qu’il y a des choses que tu regrettes ? 

Je suis consciente qu’il manque des personnes représentées. J’ai rapidement vu que parmi les couples qui me contactaient, je n’avais pas de couples de personnes noires en particulier. Je me suis demandée : “Pourquoi elles ne viennent pas vers toi ?” Et je ne voulais pas aller démarcher ce genre de couples juste parce qu’il manquerait une case d’inclusivité à cocher. Je trouvais ça malvenu, étrange. “Sapphic Lovers” a des limites en termes de représentation, c’est un fait. Mais je ne voulais pas “cocher les cases” artificiellement. Ça a été un regret, que je déplore encore, mais j’ai préféré être honnête.  

“Sapphic Lovers, et autres histoires d’amours lesbiennes”, Léa Michaëlis, édition Les Insolentes, disponible en librairie.