Donald Trump, une certaine idée de la force
Donald Trump, une certaine idée de la force hschlegel lun 20/01/2025 - 19:03 En savoir plus sur Donald Trump, une certaine idée de la force « Alors que le 47e président des États-Unis vient de s’engager à l’intérieur du Capitole, à Washington, à “sauvegarder, protéger et défendre la Constitution des États-Unis”, je me suis demandé s’il existait une limite à la puissance de Donald Trump pour ce second mandat non consécutif, au-delà des principes et des règles de droit dont il a montré par le passé, au même endroit, qu’il était prêt à les bafouer. Et j’en suis venu à penser que par un inquiétant renversement, la force au nom de laquelle Trump prétend gouverner, cette force que les philosophes comme Rousseau opposent au droit, est peut-être l’ultime rempart qui peut contenir son action. Comme dans la série de films Star Wars…[CTA1]➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.Selon une tradition à laquelle se sont pliés la grande majorité des présidents américains depuis que le premier d’entre eux, George Washington, l’a instaurée, Donald Trump a donc prêté serment en ce 20 janvier 2025 sur la Bible, une Bible héritée de sa mère. La main gauche sur le texte religieux, la main droite levée, il a répété après le président de la Cour suprême et devant les représentants des plus hautes autorités du pays (élus du Congrès, gouverneurs des 50 États, anciens présidents, autres membres de la Cour suprême) l’engagement solennel d’exécuter “fidèlement” la charge de président “du mieux de [s]es capacités”, en préservant, protégeant et défendant la Constitution des États-Unis. Un dispositif symbolique fait pour signifier à celui à qui le pouvoir suprême est confié qu’il est encadré, surveillé, limité par : la sacralité et les grands interdits du texte biblique, une Constitution de plus de deux siècles, les autres pouvoirs, exécutifs, législatifs, étatiques, mais aussi la solennité de sa propre promesse, sa foi jurée. Et pourtant, avec Donald Trump, tout se passe comme si ces “garde-fous” n’existaient plus – ou qu’ils pouvaient être suspendus à tout moment, par calcul ou intérêt. Trump l’a lui-même explicitement admis dans un entretien au Wall Street Journal où il était interrogé à propos de l’usage qu’il pourrait faire de la force contre la Chine. Le président Xi Jinping, a-t-il alors affirmé, “[l]e respecte parce qu’il sait que je suis complètement fou” (“fucking crazy”). Si la folie peut être simulée et utilisée comme une arme par le Prince pour tromper ses adversaires, comme Machiavel et Shakespeare l’ont enseigné, dans tous les cas, qu’elle soit feinte ou réelle, elle atteste que pour Trump, les garanties et conventions juridiques, nationales ou internationales, n’ont plus cours. Au prix d’une imprévisibilité radicale. Preuve en est : personne ne peut dire aujourd’hui quel sera demain le visage et le fondement de la paix en Ukraine qu’il a promis de signer avec Vladimir Poutine au plus tôt, l’état du commerce ou de la guerre commerciale mondiale que risque d’enclencher la levée des tarifs douaniers, ou encore la situation des droits et libertés publiques aux États-Unis alors que des déportations massives de migrants sont annoncées et que les magnats du numérique vont avoir les coudées franches pour faire main basse sur l’information et sur l’IA.S’il fait fi du droit et des usages, de la souveraineté et des libertés, qu’est-ce qui fonde, c’est-à-dire limite, le pouvoir de Donald Trump ? Le nouveau président des États-Unis se présente comme un défenseur de la “force” – force économique, force masculine, force militaire. Dans les relations internationales, il entend, au Proche-Orient comme en Ukraine, instaurer “la paix par la force”. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’en est réjoui, en interprétant ces déclarations comme une volonté d’instaurer un rapport de force avec Poutine. “Nous voulons tous que cette guerre se termine dès que possible et d’une manière juste […] la paix par la force est possible”, a affirmé Zelensky au lendemain de sa rencontre parisienne avec Trump. Sauf que la justice et la force sont deux principes distincts… et que leur articulation n’a rien d’évident. C’est la grande démonstration de Jean-Jacques Rousseau dans Du contrat social (1762). Si la politique est bien une affaire de forces, la force par elle-même ne produit jamais de droit. Et il ne peut y avoir de paix juste qui soit fondée exclusivement sur la force. Tout au plus est-il prudent d’y céder quand on ne peut faire autrement. “Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir” (Du contrat social, chapitre 1.3, “Du droit du plus fort”).“La paix par la force” : le slogan de Trump me fait davantage penser aux devises contradictoires mises en avant par Big Brother dans 1984 de George Orwell :
« Alors que le 47e président des États-Unis vient de s’engager à l’intérieur du Capitole, à Washington, à “sauvegarder, protéger et défendre la Constitution des États-Unis”, je me suis demandé s’il existait une limite à la puissance de Donald Trump pour ce second mandat non consécutif, au-delà des principes et des règles de droit dont il a montré par le passé, au même endroit, qu’il était prêt à les bafouer. Et j’en suis venu à penser que par un inquiétant renversement, la force au nom de laquelle Trump prétend gouverner, cette force que les philosophes comme Rousseau opposent au droit, est peut-être l’ultime rempart qui peut contenir son action. Comme dans la série de films Star Wars…
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Selon une tradition à laquelle se sont pliés la grande majorité des présidents américains depuis que le premier d’entre eux, George Washington, l’a instaurée, Donald Trump a donc prêté serment en ce 20 janvier 2025 sur la Bible, une Bible héritée de sa mère. La main gauche sur le texte religieux, la main droite levée, il a répété après le président de la Cour suprême et devant les représentants des plus hautes autorités du pays (élus du Congrès, gouverneurs des 50 États, anciens présidents, autres membres de la Cour suprême) l’engagement solennel d’exécuter “fidèlement” la charge de président “du mieux de [s]es capacités”, en préservant, protégeant et défendant la Constitution des États-Unis. Un dispositif symbolique fait pour signifier à celui à qui le pouvoir suprême est confié qu’il est encadré, surveillé, limité par : la sacralité et les grands interdits du texte biblique, une Constitution de plus de deux siècles, les autres pouvoirs, exécutifs, législatifs, étatiques, mais aussi la solennité de sa propre promesse, sa foi jurée. Et pourtant, avec Donald Trump, tout se passe comme si ces “garde-fous” n’existaient plus – ou qu’ils pouvaient être suspendus à tout moment, par calcul ou intérêt. Trump l’a lui-même explicitement admis dans un entretien au Wall Street Journal où il était interrogé à propos de l’usage qu’il pourrait faire de la force contre la Chine. Le président Xi Jinping, a-t-il alors affirmé, “[l]e respecte parce qu’il sait que je suis complètement fou” (“fucking crazy”). Si la folie peut être simulée et utilisée comme une arme par le Prince pour tromper ses adversaires, comme Machiavel et Shakespeare l’ont enseigné, dans tous les cas, qu’elle soit feinte ou réelle, elle atteste que pour Trump, les garanties et conventions juridiques, nationales ou internationales, n’ont plus cours. Au prix d’une imprévisibilité radicale. Preuve en est : personne ne peut dire aujourd’hui quel sera demain le visage et le fondement de la paix en Ukraine qu’il a promis de signer avec Vladimir Poutine au plus tôt, l’état du commerce ou de la guerre commerciale mondiale que risque d’enclencher la levée des tarifs douaniers, ou encore la situation des droits et libertés publiques aux États-Unis alors que des déportations massives de migrants sont annoncées et que les magnats du numérique vont avoir les coudées franches pour faire main basse sur l’information et sur l’IA.
S’il fait fi du droit et des usages, de la souveraineté et des libertés, qu’est-ce qui fonde, c’est-à-dire limite, le pouvoir de Donald Trump ? Le nouveau président des États-Unis se présente comme un défenseur de la “force” – force économique, force masculine, force militaire. Dans les relations internationales, il entend, au Proche-Orient comme en Ukraine, instaurer “la paix par la force”. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’en est réjoui, en interprétant ces déclarations comme une volonté d’instaurer un rapport de force avec Poutine. “Nous voulons tous que cette guerre se termine dès que possible et d’une manière juste […] la paix par la force est possible”, a affirmé Zelensky au lendemain de sa rencontre parisienne avec Trump. Sauf que la justice et la force sont deux principes distincts… et que leur articulation n’a rien d’évident. C’est la grande démonstration de Jean-Jacques Rousseau dans Du contrat social (1762). Si la politique est bien une affaire de forces, la force par elle-même ne produit jamais de droit. Et il ne peut y avoir de paix juste qui soit fondée exclusivement sur la force. Tout au plus est-il prudent d’y céder quand on ne peut faire autrement. “Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir” (Du contrat social, chapitre 1.3, “Du droit du plus fort”).
“La paix par la force” : le slogan de Trump me fait davantage penser aux devises contradictoires mises en avant par Big Brother dans 1984 de George Orwell : “La guerre, c’est la paix”, “La liberté, c’est l’esclavage”, “L’ignorance, c’est la force”. Mais s’il faut vraiment essayer d’en sauver quelque chose, je crois que c’est en se demandant si cette force ne peut pas être plus qu’un état de fait – la puissance des corps, des armes ou de l’économie. Est-ce que la force n’est pas elle-même polarisée par une exigence intérieure, un horizon moral (de stabilité, de persévérance, de réussite ?) qui l’obligerait vis-à-vis d’elle-même ? C’est ainsi qu’elle se présente en tout cas dans la célèbre saga américaine du grand écran Star Wars. La “Force” cosmique qui traverse l’Univers comme elle traverse tous les individus est inégalement répartie entre les êtres et les lieux, mais surtout, elle est scindée de l’intérieur d’elle-même entre un côté “obscur” et un côté “lumineux”. Et toute cette épopée spatiale est tendue par la prophétie qu’un individu – comme le jeune Anakin Skywalker avant qu’il ne tourne mal – pourrait apporter un jour “l’équilibre de la Force”. Il s’agit d’instaurer un équilibre entre les forces obscures et lumineuses… un peu comme dans la Constitution américaine il s’agit d’instaurer la paix civile grâce aux “checks and balances”, ces “freins et contrepoids” qui empêchent les différents pouvoirs et les différentes forces sociales de s’affirmer les uns aux dépens des autres. Comme le dit le grand historien Bernard Bailyn à propos de l’originalité de la révolution américaine, “l’idée même de liberté était liée à la préservation de cet équilibre des forces”. Il reste donc à espérer, en ce jour de serment, que ce traditionnel équilibre des forces puisse encadrer la force de Donald Trump. Un maigre espoir qui en dit long sur l’incertitude dans laquelle nous nous trouvons… » janvier 2025
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