Des JO aux Grammys : Gojira, un tournant symbolique pour la scène metal ?

Après sa performance emblématique aux JOP 2024, le groupe Gojira est nominé aux Grammy Awards, offrant au metal une nouvelle image, entre éco-engagement et valeurs familiales.

Jan 30, 2025 - 21:55
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Des JO aux Grammys : Gojira, un tournant symbolique pour la scène metal ?
Mario Duplantier, le batteur de Gojira, ici en concert à l’Ocean Fest, à Biarritz, en 2024. Corentin Charbonnier, Fourni par l'auteur

Vous avez peut-être découvert Gojira à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, lorsque le groupe a interprété « Ah ! Ça ira ! », partageant la façade de la Conciergerie avec la chanteuse lyrique Marina Viotti. Trois jours après la prestation, le groupe enregistre + 282 % d’écoutes sur Spotify en France et 129 % dans le reste du monde. La prestation vaut au groupe d’être nommé pour la quatrième fois aux Grammys et offre au metal une visibilité grand public exceptionnelle. Les clichés associés au metal pourraient-ils enfin s’atténuer ?


Formé en 1996 dans les Landes, Gojira s’est imposé comme un des leaders de la scène metal moderne grâce à sa capacité à mêler complexité musicale et textes empreints de préoccupations environnementales, sociales et philosophiques. Actif depuis près de 20 ans dans les musiques extrêmes longtemps marginalisées, Gojira est précurseur. La prestation aux JOP semble marquer une nouvelle étape dans la déstigmatisation du metal dans les yeux du grand public.

En prenant part à des causes engagées à l’instar de l’ONG de défense des océans Sea Shepherd, en accueillant des représentants de tribus amazoniennes dans les vidéos du groupe, en choisissant de limiter leur impact écologique au détriment de tournées et en assumant des prises de position sociales et environnementales fortes, les membres de Gojira questionnent des enjeux sociétaux. Loin des clichés sur un metal violent et mortifère, la famille est également centrale pour le groupe. Gojira montre que la scène metal intègre davantage de valeurs que ce que le grand public ne lui prête. Cela interroge l’image contre-culturelle du metal.

Une approche familiale et artisanale

Gojira a toujours été une affaire de famille. Les fondateurs, Joseph et Mario Duplantier, deux frères, sont rejoints par Christian Andreu et Jean-Michel Labadie. Alain Duplantier, oncle de Joe et Mario, a réalisé plusieurs de leurs clips, et leur sœur Gabrielle Duplantier, photographe, a immortalisé les membres du groupe dès leurs débuts. L’album Terra Incognita est d’ailleurs estampillé d’un de ses clichés.

En 2005, l’album From Mars To Sirius, dont la pochette est dessinée par Joe Duplantier, n’est pas sans rappeler les influences de son père Dominique Duplantier. Le clip de « Low Lands », tourné en hommage à leur mère Patricia, met en scène leur maison familiale, un lieu symbolique entre mer, lac et forêt, cristallisant l’attachement du groupe à ses racines. Ce clip est la quintessence d’un travail de famille : Alain Duplantier à la réalisation, Gabrielle Duplantier à la photographie et Claire Théodoly, cousine des Duplantier, à la figuration. Dans le documentaire Metal Families (à paraître, Unscene Production), Joe Duplantier explique :

« Quand les membres de ta famille sont dans les arts et que c’est tout ce que t’as parce qu’autour, c’est les arbres et les matchs de rugby, tu fais avec ce que t’as. »

Mario ajoute :

« Ce qui est parti pour être comme une tare de grandir ici est devenu un avantage et une force. Ça a sculpté notre identité… c’est cet isolement de devenir par nous-même l’univers Gojira… Vivre ici dans ce grand espace. »

Des paroles et des actes en faveur de l’écologie

Depuis ses débuts, Gojira s’est distingué par un engagement environnemental affirmé. Lors de sa création, le groupe s’appelait Godzilla, en référence à la créature émanant du nucléaire et symbolisant la vengeance de la nature sur l’activité humaine. Le lien du metal à l’écologie est scellé. Les relations entre l’homme et la nature sont un thème central dans la discographie du groupe, l’album Terra Incognita (2001) étant particulièrement remarquable de ce point de vue. L’album From Mars to Sirius (2005) aborde quant à lui des sujets tels que la destruction des océans et le réchauffement climatique.

Gojira soutient également l’association de défense des océans Sea Shepherd. Le titre Of Blood and Salt, fruit d’une collaboration avec Fredrik Thordendal et Devin Townsend, évoque le massacre des globicéphales, ces cétacés chassés au large des îles Féroé. En 2024, lors de l’arrestation de Paul Watson, fondateur de Sea Shepherd, Joe Duplantier s’est d’ailleurs rendu au Danemark pour militer en faveur de la libération du capitaine (finalement libéré le 17 décembre 2024).

En 2021, la campagne « Amazonia », visant à lever des fonds pour l’ONG Articulation des peuples autochtones du Brésil, a permis de fédérer de nombreux acteurs de la scène metal et de récolter plus de 300 000 dollars. Lors de leur dernière tournée à Rio en 2022, le groupe a invité une tribu autochtone sur scène pour sensibiliser le public à la disparition de la forêt amazonienne.

L’engagement écologique est global chez Gojira : Joe Duplantier a par exemple dévoilé être végétalien, après avoir été végétarien, et ne plus porter de cuir. Plus récemment, les tournées, éléments centraux de la vie des groupes, ont également été remises en question par Gojira. Ainsi, malgré de nombreuses propositions, le groupe s’est uniquement produit à l’Ocean Fest en 2024, un festival de petite jauge à proximité de la résidence familiale (moins de 5 000 personnes) dont l’objectif est de récolter des fonds pour sauvegarder les océans.

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La fin d’une « contre-culture metal » ?

Ces engagements interrogent l’affiliation du metal comme contre-culture, genre souvent perçu comme marginal, ou en opposition aux normes sociétales. Historiquement, le metal a été associé à des thèmes sombres. Mais cette noirceur était souvent une réaction aux injustices perçues dans le monde moderne. Dès 1970, Black Sabbath, l’un des groupes fondateurs de metal, abordait par exemple dans son album Paranoïd la peur du nucléaire (« Iron Man »), les conflits armés et politiques (« War Pigs »).

Loin d’être marginal, le metal s’est toujours emparé de préoccupations sociales fortes et a parfois même joué un rôle précurseur. Certains groupes, dans des sous-genres plus ou moins extrêmes, ont ainsi développé des engagements importants et emprunts de radicalité. Par exemple, le sous-genre hardcore dénonce les violences policières ou la précarisation. En France, l’album Peuh ! de Lofofora (1996) fait figure de proue, mettant en lumière les violences faites aux enfants (victimes d’inceste) et la montée du Front national à travers ses textes.

Après plus d’un demi-siècle d’existence, la culture metal aurait-elle connu un point de bascule en 2024 ? Au-delà de la cérémonie des Jeux olympiques l’exposition Metal Diabolus in Musica à la Philharmonie de Paris a offert un adoubement institutionnel à une scène encore souvent dénigrée. Cette année singulière permet un tournant symbolique valorisant (enfin !) la culture metal. Gojira n’a jamais été aussi légitime de chanter : « Our Time Is Now. »The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.