Comment concilier règlementation et innovation environnementale dans l’industrie chimique ?
La réglementation environnementale n’est pas une contrainte, mais une opportunité. C’est ce propose REACH qui encadre l’utilisation des substances chimiques dans l’UE. Sa priorité ? L’innovation.
La réglementation environnementale n’est pas qu’une contrainte. Elle est une opportunité. C’est ce que propose REACH, qui encadre l’utilisation des substances chimiques dans l’Union européenne. Pour la première fois, ce règlement inscrit l’innovation comme un objectif stratégique.
Alors que les siloxanes, des substances chimiques toxiques et persistantes, menacent la santé et l’environnement, leur interdiction vacille sous la pression du lobbying industriel. Elle n’est pas la seule concernée. L’industrie chimique a introduit près de 100 000 produits libérant des milliers de substances dans l’environnement sans contrôle systématique. Elles sont des sources majeures de pollution, générant 1,6 kg de CO2 par euro de valeur ajoutée. En parallèle, elles contribuent à des effets secondaires sanitaires catastrophiques, notamment 30 000 décès annuels liés à des expositions toxiques.
Toutefois, en tant que fournisseur de base pour de nombreux secteurs, l’industrie chimique joue un rôle clé dans la gestion des risques environnementaux et sanitaires. En modifiant son empreinte écologique, elle peut être considérée comme un levier essentiel pour réduire la pollution à la source. L’Union européenne s’est attelée à la tâche en lançant l’initiative REACH (Registration, evaluation, authorization of chemicals). Il encadre la fabrication et l’utilisation des substances chimiques en Europe. Alors comment les mécanismes instaurés par le règlement REACH encouragent-ils l’innovation environnementale ?
Nos travaux montrent que REACH engendre un double effet réglementaire qualifié de regulatory push-pull en « poussant » l’offre d’innovation par la connaissance verte et en « tirant » la demande de qualité environnementale.
Règlement REACH : 76,3 % entreprises convaincues
Pour la première fois, une réglementation environnementale inscrit explicitement l’innovation comme un objectif stratégique. Comme précisé dans son préambule, REACH vise à « assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation » (CE n°1907/2006).
L’impact de REACH sur l’innovation environnementale est confirmé par des données empiriques. Notre étude réalisée auprès de 303 entreprises de l’industrie chimique dans la région PACA révèle que 56,12 % des entreprises interrogées ont développé des innovations environnementales en réponse à cette réglementation. Ce pourcentage atteint même 82,3 % pour les PME. De manière similaire, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA), près de 76,3 % des entreprises reconnaissent que REACH a joué un rôle clé dans l’évolution de leur stratégie d’innovation verte.
Ces résultats confortent l’hypothèse de Porter. Elle montre qu’une nouvelle réglementation environnementale augmente, dans un premier temps, les coûts de dépollution des firmes qui y sont soumises. Dans un deuxième temps, ces coûts supplémentaires poussent les entreprises à une révision générale de leur processus de production et donc à innover.
Nouvelle base de connaissance environnementale
REACH favorise l’innovation en créant une nouvelle base de connaissances environnementales au sein de l’industrie chimique. Les travaux de Renning mettent en avant une double externalité des innovations vertes. Celles-ci génèrent des externalités de connaissances, en enrichissant le savoir collectif, et des externalités environnementales positives, car elles répondent à un enjeu de bien public.
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Ce règlement stimule les activités de recherche et développement (R&D) en environnement grâce, notamment, à sa procédure d’autorisation. Selon notre enquête, cette dernière est identifiée comme l’un des mécanismes les plus incitatifs. L’objectif principal de cette procédure est de remplacer progressivement les substances extrêmement préoccupantes (SVHC). Lorsqu’une substance est identifiée comme telle, son utilisation devient interdite, sauf autorisation spécifique. Si une alternative est disponible, les autorités interdisent l’utilisation de la substance concernée et de facto pousse les entreprises à adopter des solutions de remplacement.
En l’absence d’alternative viable, une autorisation temporaire peut être accordée. Ces demandes doivent fournir des informations détaillées aux autorités sur les efforts de R&D liés aux alternatives. Par ailleurs, REACH renforce la circulation d’informations externes, grâce à l’obligation de communiquer des données tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Le partage d’informations entre fournisseurs et utilisateurs améliore leurs connaissances respectives. D’un côté, au fournisseur de bien identifier les utilisations faites de sa substance. D’un autre côté, à l’utilisateur aval de mieux connaître et gérer les risques et les dangers liés à son utilisation.
Transférer la responsabilité aux industriels
REACH transfère la responsabilité de l’innocuité des substances chimiques des agences réglementaires vers les industriels. Elle opère ainsi un renversement de la charge de la preuve. Désormais, les entreprises doivent garantir que les substances chimiques qu’elles produisent ou utilisent ne présentent pas de risques pour la santé humaine et l’environnement.
À lire aussi : Comment fonctionne Reach, règlement européen qui encadre les substances chimiques ?
De manière concrète, REACH impose aux entreprises de démontrer la bénignité non seulement des substances qu’elles produisent, mais aussi de celles qu’elles utilisent dans leurs processus. Cette approche transversale en lieu et place de l’approche sectorielle habituelle peut s’appliquer à tous les secteurs qui utilisent des substances chimiques. En intégrant les utilisateurs en aval dans le cadre réglementaire, REACH responsabilise toute la chaîne d’approvisionnement.
Cet élargissement du champ de responsabilité joue un rôle clé dans la stimulation de la demande intermédiaire pour des substances chimiques respectueuses de l’environnement
« Win-win » ?
Résultat de cette conciliation entre règlementation et innovation ? Un win-win. Pour se conformer à la réglementation, les entreprises entreprennent des actions innovantes qui vont non seulement protéger l’environnement, mais également leur offrir de nouvelles opportunités commerciales offertes par la problématique environnementale. In fine, améliorer leur compétitivité.
Nabila Arfaoui ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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