Bouquineur, la soif de l’or!
Monsieur Nostalgie vous parle de Charles Des Guerrois (1817-1916), le plus grand bibliophile troyen, qui a laissé à la postérité, deux textes L"e Bouquineur" suivi d’"Une Histoire de livres" qui n’avaient pas été encore publiés. Épure, les éditions et presses universitaires de Reims, vient remédier à cette lacune dans sa collection Cultures et Temporalités... L’article Bouquineur, la soif de l’or! est apparu en premier sur Causeur.
Monsieur Nostalgie vous parle de Charles Des Guerrois (1817-1916), le plus grand bibliophile troyen, qui a laissé à la postérité, deux textes Le Bouquineur suivi d’Une Histoire de livres qui n’avaient pas été encore publiés. Épure, les éditions et presses universitaires de Reims, vient remédier à cette lacune dans sa collection Cultures et Temporalités
La bibliophilie est une maladie infantile qui s’attrape on ne sait comment. Après une forte fièvre ? À la suite d’une vision, dans la vitrine d’une librairie ancienne, un soir de la Nativité ? Le jour de nos onze ans, où une tante bien intentionnée vous offre les Mousquetaires dans une édition empourprée et, sans le vouloir, propage le virus dans votre esprit fragile ?
Si la lecture demeure ce vice impuni, le besoin vital, énergisant et financièrement dangereux d’accumuler des volumes peine à trouver des explications rationnelles. Aucune logique dans cette frénésie qui encombre les appartements et vide vos comptes. D’éminents neurologues se sont penchés sur le sujet, le collectionneur avide et enchaîné à ses bibliothèques, délaissant famille et amis pour se sustenter de nouvelles acquisitions, y abandonnant ses économies et sa santé mentale, est un cas pathologique où entrent en conflit intérieur l’objet en tant que tel et son contenu. De cette friction, naît une addiction. Ce n’est pas une question de culture, de savoir, d’érudition, nous serions plutôt du côté de la goinfrerie. La gourmandise est-elle un péché capital ? Ceux qui sont sujets à ces crises boulimiques, trouvent toutes les ruses pour acheter, emmagasiner toujours et encore plus, ils courent le risque d’être enseveli sous le papier, n’ont même pas assez d’espace pour se nourrir ou dormir, l’imprimé aura leur peau. En matière de bibliophilie, nous sommes tous des amateurs devant la grand ’œuvre de Charles Des Guerrois, cheval de Troyes de la littérature et bienfaiteur de sa ville. Dans leur avant-propos, Olivier Justafré et Jean-Louis Haquette nous en disent un peu plus sur ce drôle de zig.
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« Lecteur insatiable, Charles Des Guerrois fut aussi l’auteur de plus de 120 livres et articles. Il voua un tel amour au Livre qu’il légua les 45 732 volumes composant sa si précieuse collection à la bibliothèque de sa ville, Troyes » nous précisent-ils. Nous sommes devant un forcené, un possédé du Livre, un dissident qui se moque des nourritures terrestres. L’existence ne vaut d’être vécue que si elle regorge de livres, que si l’être humain reste en contact avec cet objet, tantôt pelisse, tantôt porte sur l’aventure. De guerre lasse, Des Guerrois engrange, compile, échafaude, se barricade, s’invente et se réinvente au contact du papier. C’est quelque chose d’épidermique, d’intime, inexplicable à une époque où la dématérialisation fait des ravages, une Odyssée qui nous apprend que certains Hommes, en dehors des contingences, ont poussé l’amour du Livre jusqu’à la « déraison ». Ce Des Guerrois commence à nous plaire, avec ses tocades et son absence de mauvaise foi. Il n’a pas la passion triste. Dans ce petit texte intitulé Le Bouquineur qui est son double de papier, il évoque la destinée d’un bibliomane (dès ses trois ans, quatre ans au plus) et du déchaînement émotionnel que lui procurèrent les livres. Quelle est la définition du mot « Bouquineur », peu usité de nos jours ?
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Nous connaissons les bouquinistes, mais les bouquineurs viennent-ils d’une contrée fantastique ? Dans leurs notes, nos chercheurs qui se font passeurs, nous disent que « le terme qui donne son titre à la nouvelle n’est pas choisi au hasard par l’auteur. Il est défini par le Grand dictionnaire universel du XIXème siècle de Pierre Larousse comme « amateurs de vieux livres ». Dans le discours sur la bibliophilie, de Paul Lacroix à Nodier notamment, il renvoie à un type de collectionneur aux moyens modestes, qui fréquente plus les étals des bouquinistes et les brocanteurs que les salles des ventes ». Ce bouquineur, c’est vous, c’est nous, le badaud qui ne résiste pas à la couverture d’un folio ou d’un livre de poche. Ce n’est pas le prix qui fait le collectionneur, c’est plutôt l’élan irrépressible, la soif de lecture. Des Guerrois nous montre la/sa trajectoire quand l’équilibre était encore possible : « Il achetait un peu et lisait beaucoup, sans compter. Il n’y avait pas lieu de souffrir et il ne souffrait pas ». Sauf que les livres sont un poison, l’engrenage fatal allait dérouler son destin immuable, entraîné par son épouse qui se passerait de robes et d’un intérieur douillet, qui allait allumer sa « flamme dangereuse » ; comme poussé par une mécanique céleste, inarrêtable, le bouquineur devint insatiable : « Il ne mesurait plus dès lors les ressources aux acquisitions : il achetait, achetait toujours ; sa grande raison, sa grande excuse à ses propres yeux (c’est celle que font valoir tous les bibliomanes) était celle-ci : « Je ne retrouverai pas ce livre ». Peur de manquer. Une Histoire de livres complète cet opuscule à ne pas mettre entre toutes les mains, car ces contes bibliophiliques sont addictifs.
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