La pandémie de Covid-19 pourrait-elle avoir commencé dans un laboratoire ?

D’où vient le virus SARS-CoV-2 ? Trois agences états-uniennes, dont la CIA, pointent vers la possibilité d’une fuite d’un laboratoire chinois. Entre politique et science, essayons d’y voir plus clair.

Jan 29, 2025 - 22:56
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La pandémie de Covid-19 pourrait-elle avoir commencé dans un laboratoire ?

D’où vient le virus SARS-CoV-2 ? L’hypothèse naturelle semble convaincre beaucoup de scientifiques, mais trois agences états-uniennes, dont la CIA, pointent plutôt vers la possibilité d’une fuite du virus d’un laboratoire chinois. Entre politique et science, essayons d’y voir plus clair.


Le vendredi 24 janvier, le nouveau directeur de la CIA, John Ratcliffe, annonçait au média d’extrême droite Breitbart News que l’une de ses priorités était de détailler les informations connues par l’agence sur une fuite de laboratoire à Wuhan. Le lendemain, le New York Times révélait que l’agence, initialement indécise sur le sujet, penchait désormais vers une fuite de laboratoire, avec un « niveau de confiance faible » – le plus faible sur une échelle de trois (faible, moyen, fort), qui signifie que les informations utilisées ne permettent pas d’avoir des conclusions solides.

La CIA rejoint ainsi le FBI et le DOE (Département de l’énergie, qui a une compétence scientifique) parmi les membres de la communauté du renseignement des États-Unis penchant vers une origine de laboratoire.

Suivant le décompte publié en 2023, dans le reste de la communauté du renseignement états-unienne s’étant penchée sur l’origine de la pandémie de Covid-19, il resterait une agence indécise, tandis que quatre, ainsi que le National Intelligence Council (le Conseil des agences de renseignement états-unien), pencheraient vers une origine naturelle.

Que signifie vraiment « origine de laboratoire » ?

Selon le New York Times, le changement d’évaluation de la CIA n’est cependant pas dû à la découverte de nouveaux éléments ; il traduit juste une nouvelle interprétation des faits déjà existants. Ni le raisonnement ni même les données utilisées ne sont publics. Il est donc impossible de juger de leur validité et solidité.

Surtout, le terme « origine de laboratoire » regroupe un ensemble de scénarios parfois incompatibles entre eux. Par exemple, selon les informations du New York Times (confirmant des informations partagées par CNN en 2023, au moment du changement d’avis du Département de l’énergie), le Département de l’énergie favoriserait une origine liée aux activités du Centre de contrôle des maladies de Wuhan (WCDC), tandis que le FBI, lui, promouvrait l’idée d’une origine à l’Institut de virologie de Wuhan (WIV). Le scénario privilégié par la CIA n’est pas connu à ce jour.

Le WCDC n’est pas un laboratoire de recherche à proprement parler, mais certains de ses membres ont participé à des campagnes d’échantillonnage de faune sauvage. Le WCDC avait déménagé à proximité du marché de Huanan fin 2019. Un scénario impliquant le WCDC entérine le fait que les premiers cas détectés sont liés épidémiologiquement ou géographiquement au marché, et implique un virus naturel.

Le WIV, lui, est un institut de recherche présent sur deux campus. L’un est à 12 km à vol d’oiseau du marché et l’autre, comprenant le laboratoire P4, à 27 km à vol d’oiseau. Les scénarios impliquant le WIV proposent en général que des expériences, dites de gain de fonction (au cours desquelles des virus peuvent devenir plus transmissibles ou plus virulents), menées sur des coronavirus tenus secrets, auraient été réalisées à des conditions de biosécurité insuffisantes (niveau 2, bien loin donc du niveau P4).

Dans la carte interactive, ci-dessus, localisant des laboratoires de Wuhan (les deux campus du WIV en violet, WCDC en jaune) et le marché de Huanan (en rouge), vous pouvez afficher la légende en cliquant sur le symbole au coin en haut à gauche. Le WCDC est proche du marché, il faut zoomer pour le voir.

Le virus n’a qu’une seule origine : s’il est effectivement sorti d’un laboratoire, il ne peut venir à la fois de deux laboratoires distincts et aux activités différentes. Deux hypothèses mutuellement incompatibles ne sont pas deux points pour une fuite de laboratoire. C’est aussi sans compter sur les autres scénarios d’un virus conçu dans un laboratoire états-unien, puis envoyé à Wuhan.

Au-delà du lieu, la nature du virus est aussi source de divergences parmi les scénarios d’accident de recherche. Un virus naturel contracté lors d’une campagne d’échantillonnage ? Un virus cultivé en laboratoire, transféré sur des cellules ou des animaux, ou bien même un virus directement génétiquement modifié ? Encore une fois, SARS-CoV-2 ne peut être à la fois un virus naturel ou le produit d’expériences. Accumuler les arguments sur des points divergents ne donne pas plus de poids à l’hypothèse d’une origine liée à des travaux de recherche.

Pas de preuves d’un accident de laboratoire

S’il y avait la preuve qu’un laboratoire de Wuhan détenait la fin décembre 2019 un progéniteur de SARS-CoV-2 – c’est-à-dire un virus identique ou quasiment le même que SARS-CoV-2, alors l’hypothèse d’un accident de laboratoire aurait bien plus de poids.

En 2007, par exemple, lors d’une épidémie de fièvre aphteuse dans le sud de l’Angleterre, le séquençage du virus avait très vite dirigé les recherches de l’origine en direction des laboratoires de haute sécurité des environs qui travaillaient sur un virus similaire – l’enquête mettra en cause des canalisations défectueuses. Pour la pandémie de Covid-19, il n’y a pas de virus connu qui ait pu jouer le rôle de progéniteur de SARS-CoV-2 dans un laboratoire.

Ainsi, si SARS-CoV-2 provient d’un accident de recherche, soit il s’agit d’un virus naturel qui n’avait pas été caractérisé et les chercheurs eux-mêmes n’en savent rien, soit le virus avait été caractérisé, mais pas publié (parce que la caractérisation était récente, ou bien parce qu’il s’agissait d’un programme secret), et les chercheurs de Wuhan en taisent encore l’existence.

En particulier, si le virus a été directement génétiquement modifié en laboratoire, alors sa séquence génétique était connue avant la pandémie, et il existe des personnes y ayant eu accès. En 2021, la communauté du renseignement états-unienne avait pourtant déterminé que les informations disponibles indiquaient que les chercheurs du WIV n’avaient pas la connaissance de SARS-CoV-2 avant l’épidémie à Wuhan. Absence de preuve n’est pas preuve d’absence, mais il n’en demeure pas moins qu’il n’y a, à ce stade, pas de donnée concrète étayant l’hypothèse d’une modification en laboratoire.

Suivant les scénarios s’ajoutent des spéculations sur les complicités hors du laboratoire, en Chine ou à l’étranger. Un rapport d’un comité du Sénat états-unien avait proposé un scénario entièrement chinois, autour de la mise au point d’un vaccin avec un chercheur de Pékin dont la mort en 2020 est vue comme suspicieuse.

D’autres scénarios impliquent une ONG, EcoHealth Alliance, qui collaborait avec le WIV pour collecter des coronavirus dans la nature et les étudier en laboratoire, avant que ses financements ne soient brutalement coupés à la demande de Donald Trump au printemps 2020. Devenu bouc émissaire, le président d’EcoHealth Alliance a depuis été interdit de financements fédéraux pour cinq ans. Il lui a été reproché, entre autres, de ne pas avoir signalé assez vite le résultat d’une expérience sur un coronavirus chimérique, d’avoir rendu un rapport en retard, et de ne pas avoir pu fournir les cahiers de laboratoire du WIV.

L’ultime cible de ces scénarios de complicité états-unienne est Anthony Fauci. Ancien conseiller Covid de la Maison Blanche, il a aussi dirigé l’organisme financeur de la collaboration entre EcoHealth Alliance et le WIV, et il lui est reproché d’avoir signé le financement de cette recherche. Les accusations vont même plus loin : selon un narratif, Anthony Fauci aurait aussi cherché à mettre fin à toute discussion sur l’origine de la pandémie de Covid-19, et forcé des chercheurs se posant des questions à changer d’avis en les récompensant d’un généreux financement – il n’en est rien.

Anticipant la vengeance de son successeur et des républicains, Joe Biden a préventivement accordé un pardon présidentiel à Anthony Fauci, mais Donald Trump lui a depuis supprimé son service de protection personnelle, et le sénateur républicain Rand Paul a juré de continuer ses poursuites.

L’origine naturelle également complexe à prouver

La multiplicité des scénarios de fuite de laboratoire est due à une absence de données : tout reste donc possible. Les données disponibles vont en effet dans le sens d’une origine naturelle liée à la vente d’animaux au marché de Huanan, à Wuhan. Ces données sont multiples et proviennent de plusieurs sources chinoises : les résidences des cas précoces se trouvent autour du marché, que les cas aient été liés épidémiologiquement au marché ou non ; les deux lignées précoces de SARS-CoV-2 ont été détectées au marché ; enfin, à l’aide de données générées par le Centre de Contrôle des Maladies chinois (China CDC), nous avons pu montrer qu’étaient présents au marché des animaux comme des chiens viverrins et des civettes, espèces déjà impliquées dans les épidémies de SRAS au début du siècle, et nous avons confirmé que ces animaux étaient présents dans le coin sud-ouest du marché, où SARS-CoV-2 a aussi été fréquemment détecté.

Cependant, les chiens viverrins et civettes présents sur le marché avaient déjà été évacués lorsque l’équipe du China CDC était arrivée pour réaliser des prélèvements, juste quelques heures après la fermeture du marché. Il n’y a pas de trace d’animal infecté, parce que les animaux n’ont pas été prélevés. La preuve définitive que certains attendent ne pourra possiblement jamais être obtenue. Mettrait-elle fin pour autant à la discussion ? Il est permis d’en douter : il faudrait alors prouver que les animaux étaient la source des contaminations, et non pas secondairement infectés par des humains ; et il pourrait toujours aussi être argumenté que les animaux venaient du laboratoire. Bref, l’histoire est sans fin.

En attendant, la question de l’origine de la pandémie va rester dans l’espace public sous Trump. Le sénateur Rand Paul, désormais à la tête de la Commission sur la sécurité intérieure et les affaires gouvernementales (HSGAC), en a fait son cheval de bataille. La déclassification d’informations de la communauté du renseignement états-unienne serait bienvenue, pour enfin pouvoir évaluer les mérites des différentes évaluations. Mais en parallèle, plusieurs chercheurs sont dans le viseur de la nouvelle administration, et il est à craindre que la recherche à tout prix de coupables pour la pandémie de Covid-19 fasse des victimes innocentes.The Conversation

Florence Débarre a reçu en 2022 un financement de la plateforme MODCOV19 de l'Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (Insmi, CNRS), pour modéliser la dynamique initiale d'une épidémie.